Texte de l'épisode
Introduction

Jusqu’à présent je t’ai raconté l’histoire des idées sans m’attarder sur les humains eux-mêmes.


Pour cette partie, nous allons un peu plus parler d’Histoire avec un grand H car le contexte a en réalité souvent son importance.


Personne ne vit en dehors de son époque, les idées ne sont pas des choses éthérées qui vivraient au-delà du quotidien des humains.
Pour te le prouver, j’ai un parfait exemple pour toi.


Alors détend-toi, installe-toi confortablement je vais te raconter une histoire plein de science et de rebondissement.


Johannes Kepler

Celui dont je vais te conter l’histoire n’est pas n’importe qui.


Son nom ne t’es peut-être pas inconnu mais il est peu probable que l’on t‘ait déjà parlé en détail de l’étendue de son talent et il est encore moins probable que l’on t’ai conté l’histoire de sa vie.


Cet homme est Johannes Kepler.


Au lieu de simplement te parler de ses découvertes, j’aimerais te parler un peu du parcours atypique de Johannes Kepler car il est étrangement erratique pour quelqu’un qui énoncera des lois de mouvement si régulières.


Alors laisse moi te conter le récit de la vie de l’un des esprits les plus importants de l’Histoire de l’astronomie.


Lors de sa naissance, en 1571, l’Europe est en proie à deux révolutions :
50 ans plus tôt, un écrit était cloué à la porte d’une église, et sonna le début du protestantisme,
26 ans avant, un certain Copernic avait démontré que le soleil ne tournait pas autour de la Terre, mais l’inverse, ce qui est une étape scientifique plus que notable


C’est un temps agité et où les autorités religieuses sont sérieusement remises en questions.


Physiquement, il est assez chétif et a une vision abîmée par la variole… Des signes qui pourraient plutôt annoncer une mort rapide qu’une destinée brillante.


Alors qu’il a 6 ans, un évènement changera sa vie à jamais : une comète apparaît dans le ciel et elle est tellement brillante que toute l’Europe est subjugée.


Petit rappel d’histoire, Kepler est plus ou moins Allemand, au sens qu’à l’époque il n’y a pas d’Allemagne à proprement parler, mais le Saint-Empire romain germanique, qui s’est étendu du sud du Danemark au nord de l’italie et de l’alsace à Vienne en autriche.


A l’époque, la guerre de 30 ans opposant catholiques et protestants n’a pas encore éclaté et Kepler s’inscrit en 1589 dans l’université de Tübingen dans le but d’étudier la théologie et devenir un pasteur.


Il rencontre alors l’homme qui changea à tout jamais son destin, (et celui de la science elle-même, indirectement) : Maestlin. Un nom qui n’est pas si connu dans l’histoire mais dont le rôle ici est essentiel.


Maestlin est secrètement un disciple de Copernic. Evidemment, à l’époque il faut bien savoir tenir sa langue lorsque l’on pense que la Terre n’est pas au centre de l’Univers, sous peine de se voir torturer.


En voyant la passion de Kepler pour l’astronomie, il lui prêta alors discrètement l’oeuvre de Copernic. Cela fut un choc et fascina Kepler qui y vit alors non pas l’hérésie, mais l’oeuvre divine d’une mécanique harmonieuse.


Kepler est âgé alors de 23 ans et malgré sa passion pour les astres, il pense toujours devenir pasteur, mais une rencontre va une nouvelle fois changer sa vie : La ville de Graz, en Autriche, l’invite à venir enseigner les mathématiques.


Emballé par l’idée de vivre de sa passion scientifique, Kepler accepte mais peu de personnes suivent ses cours et il est alors contraint d’accepter un second poste : celui de créateur de calendrier. Ce qui à l’époque tient plus de l'astrologie que de l'astronomie.


Johannes Kepler, malgré ses publications astrologiques reste réaliste quand à leur portée :
“Le ciel agit sur l’homme pendant sa vie , comme les ficelles qu’un paysan noue au hasard autour des courges de son champ : les nœuds ne font pas pousser la courge, mais ils en déterminent... la forme.
De même pour le ciel : il ne donne pas à l’homme ses habitudes,son histoire, son bonheur, ses enfants, sa richesse ou sa femme, mais il façonne sa condition”.


Toute sa vie, Kepler oscille ainsi entre religion et science, arrivant à trouver un équilibre, notamment grâce à son protestantisme, lui permettant plus de flexibilité individuelle dans la foi que le catholicisme régi par l’autorité d’un Pape.


Le manque de succès dans sa carrière a tout de même un avantage particulier : il dispose de temps libre pour réfléchir.


Si la terre tourne autour du Soleil, elle n’est donc attachée à rien, flottant dans l’Espace. Mais qu’est-ce qui la fait flotter ? quelle est la raison qui fait qu’elle ne dérive pas et décrit une orbite autour du soleil.


Lors d’un énième cours quasi-vide en 1595, Kepler a une illumination : Si la Terre tourne autour du Soleil, c’est probablement car le Soleil applique sur elle une force !


Newton était alors loin d’être né, il faudra encore attendre près de 50 ans, donc cette force, kepler l’appela “magnétisme”.


Cela peut paraître évident, et même un peu faux, mais en Europe, il fut le premier à émettre cette théorie si proche de la réalité.


Mais Je te rappelle que Kepler est avant tout très religieux, il va alors commencer par calculer l’espace entre les planètes et les relier aux formes sacrées de platon et y trouver une correspondance qui lui fera penser à l’oeuvre de Dieu lui-même.


Mais si cela te parait absurde, sache que cette nouvelle approche sera ce qui permettra aux scientifiques d’avancer, sous couvert de découvrir comment “Dieu l’a fait”. Et c’est ce qui déclenche la révolution scientifique qui suivra peu après.


Il va plus loin et trouve une harmonie qui pourrait être transcrite en musique et compose une version de “Harmonie des sphères”.
L’idée de lier musique et astronomie n’est pas de lui et se retrouve depuis Pythagore et les premiers acousmaticiens.
La différence est que dans sa version, au lieu de baser sa composition sur la distance entre les planètes, il se base sur leur vitesse.


L'ensemble des planètes constitue un chœur (pas forcément très harmonieux) où la basse est dévolue à Saturne et Jupiter, le ténor à Mars, l'alto à la Terre et à Vénus, le soprano à Mercure


Deux ans plus tard, en 1597, il publie ses idées, ce qui attira l’attention d’un certain Tycho Brahe un astronome qui voulait déménager à Prague pour continuer ses activités et ils deviennent correspondants réguliers. Cela va sauver la vie de Kepler.


En 1599, la tension entre protestant et catholique est à son comble dans la ville de graz où Kepler est toujours installé.
Il ne peut retourner dans son ancienne université où ses affinités avec les théories coperniciennes sont rejetées et c’est Brahe qui lui sauve la vie en lui proposant de venir à Prague pour l’assister dans ses travaux.


Il se retrouve donc dans la cour du roi Rudolf II, un roi particulier, dans son affection pour le scientifique autant que l’occulte.
Il était entouré d’alchimistes, d’astrologues comme de mathématiciens et d’astronomes, l’un des astronomes étant Brahe, sous le titre de “mathématicien impérial”.


Sa mission était d’observer le ciel nocturne et de créer un relevé précis des cieux. Des relevés existaient avant lui, mais ils étaient imprécis ou incomplets.
Le but était de créer une carte si précise que l’on pourrait alors prédire les positions des astres avec la plus grande des précisions.


Mais en 1601, Brahe décède et le relai est passé à son second, Kepler, arrivé moins de deux ans plus tôt.


La tâche qui lui est transmise est immense mais il hérite des travaux que son prédécesseur gardait jalousement : les observations astronomiques les plus précises de tous les temps.


C’est ces dernières qui vont permettre les plus grandes découvertes faites par Kepler.


Et si l’astronomie est son oeuvre la plus connue, Kepler est aussi connu pour avoir fait avancer bien d’autres champs de la physique, par simple intérêt fugace dans la matière.


En 1604, par exemple, alors qu’il tente d’améliorer la façon d’observer une éclipse, il plonge alors si loin dans l’étude de l’optique qu’il va en profiter pour avancer la compréhension de l’oeil humain, découvrant que l’image au fond de notre rétine est inversée et corrigée par le cerveau.
De ces études, il en profite aussi pour améliorer les verres optiques, notamment les lunettes, dont il a grandement besoin avec sa myopie dont il souffre depuis l’enfance.
Pas la lunette astronomique évidemment puisqu’elle n’est pas encore inventée à l’époque.


La même année, il observe et enregistre une supernova dans le ciel, sous la forme d’une étoile nouvelle.


Il a même publié un ouvrage nommé “Le songe” ou “L’astronomie lunaire” qui est un des premiers ouvrages de science fiction.
Un roman basé donc sur des faits scientifiques qui raconte une aventure sur la Lune entreprise par des humains aidés de démons, dans laquelle Kepler note les difficultés à prévoir une fois sur place : l’absence d’air bien entendu, mais aussi la lumière du soleil, non filtrée par une quelconque atmosphère.
Il en profite aussi pour décrire avec poésie la vue de la Terre qu’auraient les aventuriers


Les années d’observation attentive vont lui permettre de prouver scientifiquement les théories coperniciennes et le système héliocentrique.


En 1609, il publie “Astronomie nouvelle”, qui non seulement explique le trajet de Mars dans le ciel nocture terrestre, mais il calcule et représente celui de la Terre vu depuis la planète rouge.


Cette réflexion et ces calculs lui permettent de constater que les trajectoires des planètes ne sont pas circulaires et elliptiques, ovales, où l’un des centre est le soleil. C’est la première loi de Kepler


Il démontre par le calcul la vitesse des astres, selon leur position sur cette ellipse, indiquant que lorsqu’un corps est sur la partie de son orbite la plus proche de l’astre autour duquel il gravite, sa vitesse est plus grande que lorsqu’il en est éloigné.
Il arrive à trouver la relation qui régit la distance parcourue tout au long de la révolution.
C’est la seconde loi de Kepler.
Il n’est pas arrivé encore à permettre le calcul des paramètres de l’orbite elle-même, en revanche.


Un fait intéressant, car très rare à l’époque : non content de publier ses théories, il publie aussi ses données brutes. De nos jours c’est une norme lors de publications scientifiques, mais à l’époque, c’est une forme de défiance envers les critiques potentielles, leur donnant la possibilité de le contredire… si toutefois c’était possible.


En 1610, Galilée observe Jupiter avec la première lunette astronomique et sa découverte crée tellement l’émoi que beaucoup à l’époque pensent qu’il s’agit d’une erreur, voir d’une illusion d’optique.


Cela inspira un nouvel ouvrage à Kepler qui non seulement démontre que les observations de galilée ne pouvaient être une illusion optique mais il en profita au passage pour décrire comment améliorer les télescopes pour les rendre plus efficaces.


Mais les tensions religieuses au sein de l’Europe finiront par le rattraper et en 1612, le voilà encore contraint de quitter Prague pour Linz qui lui propose un poste de mathématicien en échange duquel il doit achever les tables d'observations du ciel.


Il a encore une fois de la chance car à peine 5 ans plus tard, en 1617, les protestants seront massacrés à Prague et en 1618, ces derniers se rebellent et la guerre de 30 ans débute entre ces deux religions, apportant dans toute l’europe, son lot de morts, de pandémies et par la peur qu’elles occasionne, son lot de procès pour sorcelleries.


en 1619, Kepler, que la guerre a fini par rattrapper, protestant au milieu de catholiques, reste officiellement protégé mais est harcelé quotidiennement.


Malgré ce quotidien tourmenté, il parvient à créer la loi permettant de calculer l’orbite de tout astre d’un système planétaire en découvrant la relation entre ses dimensions et la vitesse de l’astre qui la parcourt.


Pendant une année, il doit s’occuper de la défense de sa mère, accusée de sorcellerie, procès lors duquel ses capacités de démonstrations lui permettront se la sauver.


Mais ce procès le cribla de dettes et il perdit sa maison et quitta Linz en 1626.


Un an plus tard, il publia la table d’observation dont il avait hérité de Brahe et qu’il avait grandement complétée.
Ce furent les observations les plus précises jamais vues et ses 3 lois étaient bien entendues utilisées dans cet ouvrage pour prédire des évènements futurs.


Le prochain évènement serait le transit de Mercure, 4 ans plus tard, en 1631, un phénomène où, depuis la Terre, nous pouvons observer Mercure passer entre le soleil et nous.


Mais non seulement il ne vécut pas jusqu’à voir son travail validé, mais la guerre de religion fera que sa tombe sera profanée.
Nul ne sait ce qu’il est advenu de son corps.


Bien évidemment, en 1631, ce transit a lieu, comme prédit par Kepler.


Conclusion

Ces travaux sont la fondation de bien des découvertes et ont inspiré bien des scientifiques.


Cela permettra à Newton de créer sa théorie gravitationnelle et permettra la mesure de l’unité astronomique ( la distance terre-soleil) grâce l’observation du transit de Vénus, 8 ans après Mercure.


Il est vrai que je parle et que je continuerai à beaucoup parler des hommes de sciences.


Cela ne veut pas dire qu’il n’a pas existé des femmes de sciences durant l’aventure scientifique qu’a vécu l’humanité.


Tu peux être ainsi amené à penser que jusqu’à récemment, elles ont souvent été reléguées à un rôle de soutien. Femme au foyer ou secrétaire, qu’elles dégageaient le chemin pour que leurs conjoints ou supérieurs puissent faire avancer les connaissances humaines.


Ou alors on les imagine comme Nicole-Reine Lepaute, aidant son mari dans les calculs jusqu’à s’en abîmer la vue.


Si cette image de personne en deuxième ligne n‘est pas tout à fait fausse historiquement, la réalité est un tout petit peu plus subtile, il existe bien des exceptions et ces dernières sont de plus en plus nombreuses avec l’avancé des moeurs de la société et la parité vers laquelle nous tendons doucement.


Comme par exemple Caroline Herschel qui découvrit 8 comètes en tant qu'assistante de son frère, mais qui fut la première femme astronome salariée, et qui sera reconnue pour ses travaux, elle reçoit la médaille d’or pour la science prussienne et devient membre honoraire de la Royal Astronomical Society, … le tout fin 18e début 19e siècle.


Mais il existe des cas plus lointains encore : comme par exemple Hypathie au 4e siècle dont les travaux ont été détruits mais dont on sait qu’ils étaient tellement avancés qu’ils lui ont valu d’être assassinée par des chrétiens fanatiques.


Notons aussi au passage Émilie du Châtelet, française du 18e siècle qui fut à l’origine de la traduction en français des travaux de Newton… seule traduction jusque dans les années 2000 où une autre fut réalisée.
A l’époque, maîtriser deux langues et être érudit au point de traduire un ouvrage scientifique n’est pas donné à tous et pour une femme de son époque, c’est extraordinaire.


Enfin, toujours en vie de nos jours, je voudrais évoquer Carolyn Shoemaker, la personne ayant découvert le plus de comète dans toute l’histoire de l'humanité : elle a découvert 32 d’entre elles !


Et l’une de ces comètes est extrêmement connue : Shoemaker-Levy 9 ou SL9, la fameuse qui s’écrasa sur Jupiter en 1994 sous la forme d’une série de débris qui ont permis d’en savoir plus sur l'atmosphère de la géante rouge.


Comme je te l’ai déjà dit le ciel est le même pour tous, et la soif de connaissance est peut-être quelque part dans notre ADN, quel que soit l’origine, le sexe ou le genre.


Mais il y a une chose qui nous reliera toujours tous, c’est notre place dans l’Univers : du génie au crétin, de la vedette au groupie, du roi au mendiant, à l’échelle de l’univers nous ne sommes pas grand chose.


A l’époque de Kepler, nous savons déjà que nous sommes moins importants qu’imaginé précédemment, relégué du centre de l’univers à l’un de ses astres…


Mais malgré cela, nous étions toujours bien trop présomptueux.


Une co-production de

Phil_Goud : Texte et narration
Redscape : Mise en musique, mixage et voix des anciens

Génériques (Début+Fin) : “Euphotic” Carbon Based Lifeforms (Interloper) 2015 Blood Music
Avec l’aimable autorisation de Carbon Based Lifeforms pour la réutilisation de sa musique.
Voix du générique : Karine


Crédits musiques

“Foghorn” Robin Schlochtermeier (Spectral) 2020 Denovali Records
“A Walking Embrace” Nils Frahm (Encores 2) 2019 Erased Tapes Records
“You'll Miss Us One Day” Ben Lukas Boysen (Gravity) 2013 Ad Noiseam
“ The Headless Sleep” Ian Hawgood & Aaron Martin (Wolven (A Modern Interpretation)) 2013 hibernate
“Words Are Gone” Hior Chronik (Blind Heaven) 2019 7K!
“Yellow Moon” Luca D’Alberto (Endless) 2017 7K!

Les artistes

Robin Schlochtermeier : http://robinschlochtermeier.com/
Nils Frahm : https://www.nilsfrahm.com/
Ben Lukas Boysen : https://benlukasboysen.com
Ian Hawgood : https://www.folkreels.com/
Aaron Martin : https://aaronmartin.bandcamp.com
Hior Chronik : https://hiorchronik.bandcamp.com/
Luca D’Alberto : http://luca-dalberto.com/

Crédit image

Greg Rakozy https://unsplash.com/photos/0LU4vO5iFpM

Twitter Mentions