La transition écologique est au cœur de tensions dans le monde de l’entreprise mais aussi parmi les consommateurs et plus largement la société démocratique. La phrase choc de Lucile Schmid qui nous sert de titre est pourtant venue nous réveiller. Doit-on ménager la chèvre et le chou ou agir ? Et comment faire alors que …


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La transition écologique est au cœur de tensions dans le monde de l’entreprise mais aussi parmi les consommateurs et plus largement la société démocratique. La phrase choc de Lucile Schmid qui nous sert de titre est pourtant venue nous réveiller. Doit-on ménager la chèvre et le chou ou agir ? Et comment faire alors que le consensus semble impossible à trouver. Au cœur de la question de la réinvention du marketing, ces tensions sont des plus importantes pour le marketeur soucieux de comprendre l’avenir et de le préparer. Pour mieux analyser ces dissonances, avec recul et sans idéologie, et comprendre tous les points de vue, nous nous sommes rendus au salon Drive to Zero dont nous sommes partenaire média. La synthèse n’est pas aisée. Les marketeurs de demain n’ont pas fini d’être écartelés entre déconsommation (décrite par Frédéric Canevet dans son livre) et mise en œuvre d’un « nouveau monde ». Nouveau monde bien difficile à entrevoir d’ailleurs, hormis quelques initiatives réussies, dont on peut néanmoins se réjouir.


Une transition écologique pour faire « chier » les consommateurs ?
Le panel de la plénière de Drive to Zero hier à Longchamp qui mettait la transition écologique au centre du débat
Transition écologique et économique : une métamorphose

Un débat sur l’acceptabilité (certains des intervenants ont remis en cause ce terme) des transitions écologiques et énergétiques en ces temps troublés était particulièrement utile. Ceci d’autant plus en ces temps de débats politiques en amont des élections européennes. Un sujet pourtant, l’écologie, dont Élisabeth Quin d’Arte n’hésite pas à dire qu’ « il a disparu du débat politique alors que les symptômes du mal n’ont jamais été aussi présents ».


On sait qu’on a un problème avec la transition écologique nous a dit Lucile Schmid. Quand j’ai demandé à Midjourney de nous dessiner une vision apocalyptique du futur de nos villes, le programme est arrivé à un résultat finalement pas si éloigné que cela de la situation de certaines villes asiatiques. Un visuel aussi noire qu’un film de Steve Cutts…


Et précisons tout de suite, que quelles que soient les conclusions que nous puissions en tirer à son issue, cette table ronde avait pour mérite de poser sur la table tous les ingrédients ou presque de cette période de transition que nous sommes en train de vivre.


Une transition c’est une métamorphose


Cette affirmation est venue de Xavier Horent, DG de Mobilians et représentant de  « la seule organisation professionnelle à représenter les 20 métiers de la distribution et des services de l’automobile, du véhicule industriel, des cycles et motocycles en France ».


Intensité, vitesse et amplitude mais pas chez (tous) les politiques

Une telle métamorphose implique « intensité, vitesse et amplitude ». La vraie question est donc non de savoir comment il faut agir mais « comment la rendre socialement acceptable et économiquement viable ». Or, je cite toujours, la « société est conflictuelle et si la conscience écologique a progressé, en même temps, le doute s’installe ». Et M. Horent de témoigner de son inquiétude à l’issue des débats politiques européens sur BFM qui ne semblent pas l’avoir convaincu ni sur la vitesse, ni l’intensité et encore moins l’amplitude.


En parlant de transitions et de métamorphoses, pour illustrer cette transition écologique qui aura un impact indéniable sur le marketing si toutefois on arrive à la mettre en place, j’ai demandé à Midjourney de nous composer une image poétique et idyllique d’une ville dans laquelle j’aimerais vivre. Et pour positiver, je dirais que la mienne commence un peu à ressembler un peu à cela même si beaucoup de travail reste à faire. Pourvu que la campagne reste belle également…

C’est que les injonctions paradoxales  sont légion dans ce domaine. Il faut réaliser cette « métamorphose » et le secteur automobile et du transport commercial (je suppose que la place du cycle dans Mobilians est assez modeste) sont au cœur de cette transition. Mais en même temps, « il ne faut pas oublier les consommateurs ». En d’autres termes, ménager la chèvre et le chou. Faire preuve d’audace comme le signale Laurent Favreau, le président vendéen de Sysdev, sans pour autant aller trop loin.


Les réussites locales décrites par l’élu  et président du syndicat d’énergie de Vendée semblent donner une indication de ce qui peut être fait « dans un territoire au maillage rural » qui va de l’avant sans se plaindre d’avoir été poussé à la périphérie.


La Vendée montre l’exemple

L’élu a d’ailleurs détaillé de façon fort précise les initiatives réalisées dans ce département dont on connaît le dynamisme. « Depuis 20 ans on s’organise pour produire de l’énergie verte ce qui représente la totalité de la consommation de la Vendée » nous dit-il.


Et de donner des détails dans le mix énergétique avec des poses de bornes de recharge électriques, production de biogaz (10 %) et la production d’hydrogène vert, « véritablement vert, pas gris ».


Mais cette audace et cette « envie de faire » ne semble pas prendre sur le reste du territoire. Sans même mentionner les scientifiques qui s’opposent à cette idée-même de « transition énergétique » (JB Fressoz, Sans transition, Seuil 2024).


Et puis il y a les « crises »

Et puis il y a les crises. Celle des bonnets rouges, puis des gilets jaunes et en début de 2024, des agriculteurs (dont quelques vendéens sans doute), qui ont montré ce problème d’acceptabilité au grand jour. Lucile Schmid, ancienne haut fonctionnaire au commissariat au plan et cofondatrice de la fabrique écoologique a confirmé ce constat.


On sait qu’il y a un problème et on ne cesse de repousser le dialogue

Les panélistes de la table ronde sur la transition énergétique et écologique

Or c’est justement en ce moment où « on demande des efforts supplémentaires que cela devient concret » poursuit l’ancienne élue. Des efforts qui seront selon elle « deux fois plus importants » pour les ménages les plus défavorisés, à moins de mettre en place la fiscalité qui réduira la fracture entre « ceux qui ont les moyens de vivre dans l’abstraction et ceux qui ne l’ont pas ».


On comprend la solution proposée, et on sait aussi à quel point elle est populaire.


Surfer sur la vague du mécontentement

Pas étonnant dans ces conditions que les tensions s’accumulent et qu’un « certain nombre de politiciens surfent sur cette vague de mécontentements pour opposer écologie et économie » (voir le dossier du 28 mn d’Arte du 27/05/24).


Pourtant le débat a bien montré que les temps avaient changé. Les participants à la table ronde ont ainsi tous reconnu, y compris Xavier Horent, représentant de la filière automobile en tant que DG de Mobilians, que « le sens de l’histoire était à la décarbonation ».


Le but est donc clair, mais pas forcément la voie pour y arriver. Dans cette même filière automobile il y a des patrons pour vitupérer contre la voiture électrique et déclarer que « les gens perdront leur liberté » et qu’il « y aura des conséquences sociales ». Carlos Tavares aurait déclaré, en substance, que le tout-électrique était un mauvais système mais qu’il faudrait faire avec.


La liberté illusoire du tout-voiture

Justement, cet argument de liberté a été battu en brèche par Jean-Philipe Hermine, ancien DG de Renault environnement et directeur de l’institut des mobilités en transition (IMT). « On a gagné en liberté disent certains alors qu’on est devenus de plus en plus dépendants de nos voitures et tout ça pour faire 13 km en moyenne ». Tout devrait être simple. 13 km, c’est 39 minutes en vélo (et plus d’une heure en voiture dans Paris). Et pourtant… M. Hermine a ajouté qu’il « faut beaucoup de courage pour s’opposer aux simplifications politiques ».


Elle n’est probablement pas que politique d’ailleurs, elle doit bien être un peu économique aussi et en cela, même si on peut être totalement en désaccord avec Carlos Tavares, on ne peut pas dire qu’il a complètement tort non plus, surtout sur les conséquences sociales.


La transition écologique ce n’est pas pour faire « chier » le monde

Lucile Schmid a alors donné un grand coup de pied dans la fourmilière qui a bien réveillé la salle engourdie par le froid quasi hivernal qui avait envahi le site de l’hippodrome de Longchamp, histoire d’ajouter à la confusion de ceux qui confondent climat et météo.


« La France s’est déjà réchauffée de 2 degrés et elle se réchauffe plus que le autres du fait de sa situation géographique. La transition écologique ce n’est pas pour faire « chier » le monde c’est pour rendre la planète viable. Et Carlos Tavares devrait savoir que le chef d’entreprise citoyen, ça existe aussi ».


La transition écologique ce n’est pas pour faire « chier » le monde c’est pour rendre la planète viable

Lucile Schmid


Nous avons bien exposé à peu près tous les points de vue. Même si nous avons fait l’impasse sur beaucoup de phrases intéressantes et de concepts. Mais voilà le problème, avec ce sujet de la transition écologique. Il est tellement complexe (c’est-à-dire que tous les éléments sont reliés entre eux) que la multiplicité des points de vue finit par donner le tournis. Et ce ne sont pas les « rapports si nombreux que l’on finit par être submergé et ne plus rien lire », pour citer encore Lucile Schmid , qui vont changer les choses.


Le marketing n’est pas innocent dans ce jeu. Comme nous l’avons fait remarquer de nombreuses fois, il n’est pas seulement sommé de se changer, il est également dans l’obligation de prendre conscience qu’il a été — que nous avons été — à l’origine de la situation actuelle.


Un maelström de discussions et de chiffres

Pris dans le maelström des discussions et des chiffres, le marketeur, pas plus que le consommateur ou le chef d’entreprise, ne peut s’y retrouver. À la fin d’un tel débat, pourtant indispensable répétons-le, on sera tenté de se poser la question : Et alors ? Où allons-nous…


Non pas seulement en tant que marketeur, mais en tant que société, car on imagine mal une entreprise se développer en dehors d’elle. Mais aussi dans ce fameux système économique complexe et global qui ne pourra pas cesser d’exister, sauf cataclysme à la Cormac McCarthy.


Mobilité et territoires

Le débat suivant qui a traité des différents types de mobilité dans les territoires ne nous a pas permis de déduire non plus de solution miracle. Dans un sens, cela est normal. Il est difficile également d’entendre raison au travers des points de vue forts divergents.


Prenons les transports par exemple, qui ont  fait l’objet d’un autre débat. D’aucuns ont souligné fort justement, comme André Broto, que les zones urbaines sont relativement bien traitées et que même, dans la couronne parisienne, nous avons un réseau d’une densité qui nous est envié dans le monde entier. Malheureusement, ce système a créé les « oubliés de la république » (Eyrolles) pour reprendre le titre de son ouvrage.


André Broto nous a livré une analyse intéressante et étayée par des cartes et des chiffres.

D’autres soulignent que le train n’est pas une solution, que le car est beaucoup moins cher, d’autres encore qu’il faut lancer des cars pour pouvoir réinvestir dans de nouvelles infrastructures plus lourdes, d’autres que de toute façon il est impossible d’investir car les montants sont astronomiques, et les derniers que les cars partent vite mais finissent dans les embouteillages, les consultants plaident pour la fermeture des lignes TER non rentables, les élus les plébiscitent, etc.


Poser le débat à l’endroit ?

Cela donne l’impression d’un débat sans fin et sans issue.


La question que je me suis posée à la fin est de savoir si on ne posait pas la question à l’envers. D’essayer de résoudre une équation à 25 inconnues dans un système qui a montré ses limites, comme l’a déclaré Jean-Philippe Hermine. Peut-être pourrait-on changer ce système qui nous fait nous déplacer de plus en plus loin pour faire ce qui était possible en bas de chez nous.


[D’ailleurs c’est la démarche que nous avons entamée  personnellement chez nous, puisque nous avons déménagé de la lointaine banlieue dans le centre de Paris et que notre voiture reste bien sagement au garage toute l’année]


Le troisième débat auquel j’ai assisté était dédié à la place du vélo dans les mobilités. On s’y est réjouit des progrès qui ont été réalisés depuis le COVID en 2020, tout en faisant remarquer que le vélo ne représente que 3 % des déplacements aujourd’hui. L’objectif de l’emmener à 12 % en 2030, fixé par le gouvernement, n’a pas semblé réaliste au panélistes. En même temps, encore un sujet complexe, qui permettrait peut-être l’ouverture de solutions alternatives si on pensait autrement. C’est-à-dire en terme d’intermodalités et non seulement de modalités, et qu’on réfléchissait aux solutions vélo + transport en commun. Une solution aujourd’hui combattue par la RATP et la SNCF, à l’inverse de ce que l’on voit en Suisse par exemple ou dans d’autres pays. Et pourtant, c’est une des solutions à mettre en place. Avec mon vélo pliable, je me rends déjà chez mes clients partout dans la région parisienne et je réalise aussi des déplacements en province. C’est plus rapide, plus reposant et plus propre que la voiture. Et en prime, pédaler maintient en forme.

Une suggestion bien utopique et sans doute diffiicilement réalisable, comme toutes les utopies. Peut-être aussi que l’échelle de ce changement n’est pas la bonne. Le dérèglement climatique ne nous est pas dédié, il concerne le monde entier et au premier chef l’Europe pour laquelle nous votons le 9 juin 2024.


La société dans laquelle nous vivons, avec toutes ses imperfections, est incroyablement confortable et nous offre une qualité de vie jamais connue dans les 2500 ans qui nous ont précédés. Il sera difficile de   réinventer ce système en dehors de quelques initiatives auxquelles d’ailleurs nous participons nous-mêmes du mieux que nous pouvons. Un système complexe mais aussi extrêmement résilient comme l’a fait remarquer Antoine Buéno dans son avant-dernier livre qui réfute, avec des arguments bien étayés, les thèses des collapsologues.


Transition écologique : jamais à l’abri d’une bonne surprise

En fin de compte, on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise. Qui aurait pu prédire par exemple que tant  de vélo auraient circulé dans Paris, il y a à peine sept ans. Quand j’ai repris le vélo pour mes déplacements quotidiens, cette pratique était encore marginale et assez périlleuse.


30 000 km plus loin, je vois les choses changer et la ville se transformer de manière radicale.


Bizarrement, c’est surtout dans les grandes villes que les choses changent dans le bon sens, alors que les déplacements en vélo deviennent sans cesse plus dangereux, même dans nos montagnes d’Ariège.


Mais restons optimistes et faisons mentir Jean Jouzel qui, toujours dans cette émission de 28 minutes d’Arte, montrait son pessimisme en déclarant que « nous étions incapables de changer même au pied du mur ».


Sans doute que je ne verrai jamais ce monde idéal auquel j’ai rêvé avec Midjourney mais nous pouvons tous essayer d’améliorer les choses. Et les marketeurs peuvent aussi et doivent utiliser leur créativité au service de ce monde meilleur.


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