🙃 Voici la version intĂ©grale d’un entretien rĂ©alisĂ© avec Vaughn Tan, maĂźtre de confĂ©rence Ă  University College London's School of Management et auteur du livre The Uncertainty Mindset, paru en juillet 2020.

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Nous vous proposons aussi ci-dessous une note de lecture sur l’ouvrage de Vaughn.

Parler d’incertitude aprĂšs l’annĂ©e qu’on vient de vivre, c’est dĂ©jĂ  presque devenu un clichĂ©. Mais il existe des travaux passionnants sur le sujet qui nous invitent Ă  aborder l’incertitude avec plus de profondeur, et notamment Ă  faire la distinction entre le risque—ce Ă  quoi on peut se prĂ©parer—et l’incertitude. J’ai beaucoup apprĂ©ciĂ© la lecture du livre The Uncertainty Mindset de Vaughn Tan. J’ai dĂ©jĂ  Ă©crit plusieurs articles Ă  propos de cet ouvrage (dont celui-ci pour Welcome to the Jungle).

Vaughn Tan est professeur de stratĂ©gie et d’entrepreneuriat Ă  Londres (University College London’s School of Management). Il a fait un doctorat de comportement des organisation et de sociologie Ă  l’universitĂ© de Harvard. Il a travaillĂ© pour Google dans la seconde moitiĂ© des annĂ©es 2000. Et depuis dix ans, il Ă©tudie avec passion les laboratoires de R&D des cuisines des grands chefs pour en tirer des leçons d’innovation et de stratĂ©gie d’entreprise.

Sa grande idĂ©e, c’est que l’état d’esprit d’incertitude est devenu indispensable dans un monde oĂč l’innovation est nĂ©cessaire. On Ă©volue dans un monde de plus en plus complexe oĂč il devient fallacieux de penser que l’on peut tout planifier Ă  l’avance.

À l’ñge fordiste, on visait avant tout l’efficacitĂ©. Il fallait mettre au point des processus parfaits, fiables et rĂ©pĂ©tables. Il fallait apprendre Ă  faire une chose parfaitement, et ensuite la refaire encore et encore. C’était le monde de l’organisation scientifique du travail et de la division des tĂąches. À l’ñge numĂ©rique, en revanche, il faut innover pour survivre.

L’idĂ©e que l’innovation est une nĂ©cessitĂ© est acceptĂ©e Ă  peu prĂšs partout. Mais on ne sait pas de quelle maniĂšre l’innovation se traduit sur le terrain, dans l’organisation du travail d’une Ă©quipe. Qu’est-ce qu’une Ă©quipe innovante ? Comment encourage-t-on et organise-t-on l’innovation ?

Vaughn Tan rĂ©flĂ©chit Ă  ces questions depuis des annĂ©es. Il a fait l’expĂ©rience de l’innovation dans des contextes et secteurs diffĂ©rents. Dans son livre The Uncertainty Mindset (2020), il tire pour tous les managers (et les individus) les leçons d’innovation qu’il a apprises dans les cuisines des plus grands chefs. 

Il appelle Ă  un changement radical de paradigme. Avant, il fallait que chaque travailleur ait un rĂŽle fixe et clairement dĂ©fini. Dans un monde d’incertitude, les rĂŽles doivent rester ouverts et fluctuants, dans une organisation conçue pour le travail collaboratif et l’innovation. Il faut apprendre constamment les uns des autres. L’état d’esprit d’incertitude devrait tout influencer dans l’organisation du travail.

Aux frontiĂšres de l’innovation gastronomique, j’ai dĂ©couvert une approche fondamentalement diffĂ©rente de l’innovation dont je suis de plus en plus convaincu qu’elle est pertinente au-delĂ  de la cuisine. La cuisine de pointe, c’est un systĂšme modĂšle pour comprendre l’esprit d’incertitude et ses consĂ©quences pour les organisations dans d’autres secteurs.

L’innovation est par nature vraiment incertaine. Avec le travail d’innovation, vous ne savez pas ce que vous cherchez jusqu’à ce que vous le trouviez ou le crĂ©iez. L’incertitude, c’est inĂ©vitable quand vous cherchez Ă  faire quelque chose qui n’a jamais Ă©tĂ© fait ou imaginĂ© auparavant.

Un management efficace de l’innovation implique la formation de personnes et d’équipes dĂ©sireuses et capables d’arrĂȘter de faire ce qu’elles font bien pour chercher Ă  dĂ©velopper autre chose.

Pour cet Ă©pisode, je suis trĂšs heureuse d'accueillir Vaughn Tan. Bonjour, Vaughn.

Bonjour. Merci de m’accueillir !

Vaughn est professeur adjoint de stratégie et d'entrepreneuriat à l'University College London School of Management, et il est l'auteur d'un livre récemment publié intitulé The Uncertainty Mindset: Innovation Insights from the Frontiers of Food. Quel beau titre ! Pour ce livre, tu as observé les équipes les plus innovantes des laboratoires de R&D des plus grands restaurants du monde, Noma, par exemple.

Tu n’aurais pas pu choisir une meilleure annĂ©e pour publier un livre sur l’état d’esprit d'incertitude.

Merci beaucoup, Vaughn, d'ĂȘtre avec moi aujourd'hui. Ma premiĂšre question, je la pose Ă  tous les invitĂ©s de ce podcast. Comment as-tu vĂ©cu cette annĂ©e 2020, tant sur le plan personnel que professionnel ?

Cette annĂ©e a Ă©tĂ© trĂšs intĂ©ressante. Pas facile. Mais j'ai aussi beaucoup de chance. Je pense avoir vĂ©cu une bien meilleure annĂ©e que d'autres personnes. Ce que j'ai appris sur moi-mĂȘme, c'est que je peux ne pas voir les gens pendant de longues pĂ©riodes. J’en ai toujours eu l’intuition, mais que je n'en avais jamais vraiment fait l’expĂ©rience comme ça. Et maintenant, aprĂšs avoir passĂ© tous ces mois Ă  ne voir presque personne, c'est devenu normal.

Le bon cĂŽtĂ© des choses, c'est que j’ai tout d'un coup dĂ©couvert qu’il n’y a plus besoin d'ĂȘtre physiquement au mĂȘme endroit pour travailler avec les autres. Cette annĂ©e, j'ai commencĂ© Ă  rencontrer des gens situĂ©s un peu partout dans le monde et Ă  leur parler. Tu es l'une de ces personnes.

Cela signifie-t-il que tu as étendu tes réseaux de telle sorte que, tout d'un coup, c'est comme si des nouvelles portes s'étaient ouvertes, et pourquoi ne pas avoir une conversation avec quelqu'un en Asie, en Afrique ? 

Oui. Et je pense que c'est en partie parce que j'Ă©tais dĂ©sormais prĂȘt Ă  chercher en dehors du cadre local des personnes avec lesquelles travailler, mais aussi parce que tout le monde s’est mis Ă  faire la mĂȘme chose. Les gens te contactent de partout ailleurs.

Oui, c’est aussi parce que tu viens de publier un livre qui intĂ©resse les gens. Bien sĂ»r, sa publication en 2020 est une coĂŻncidence. Tu y travaillais dĂ©jĂ  depuis un certain temps. Qu'est-ce que ça fait d'avoir ce livre publiĂ© en cette pĂ©riode ? C'Ă©tait l’étĂ© dernier, n'est-ce pas ? 

Oui, c'Ă©tait en Ă©tĂ©. Ce n'est mĂȘme pas par choix qu'il a Ă©tĂ© publiĂ© cette annĂ©e. J'ai Ă©crit Ă  plusieurs reprises Ă  ce sujet. Le chemin qui a menĂ© Ă  la publication de ce livre a Ă©tĂ© trĂšs tortueux, a impliquĂ© de nombreux Ă©diteurs qui ont fait un long chemin. C’est un livre complĂštement inclassable. Ça n’était pas Ă©vident de comprendre pourquoi il vaut la peine d’ĂȘtre publiĂ©, et s’il pouvait trouver un public. C'est donc tout Ă  fait par hasard qu'il a Ă©tĂ© publiĂ© Ă  un moment oĂč tout le monde Ă©tait soudainement exposĂ© Ă  un niveau d'incertitude sans prĂ©cĂ©dent.

On ne pouvait plus dire, “c’est risquĂ©â€. Moi j’aurais prĂ©fĂ©rĂ© qu’il soit publiĂ© beaucoup plus tĂŽt, avant cette pandĂ©mie.

Maintenant il faut rĂ©flĂ©chir Ă  diffĂ©rentes façons de faire les choses et de voir les gens, ce qui reprĂ©sente, je pense, l'un des aspects positifs de cette annĂ©e. Cela nous oblige Ă  faire des choses que nous n'aurions jamais penser faire auparavant, pour rĂ©aliser ensuite que finalement, ça ne marche pas si mal comme ça, qu’il existe des nouvelles possibilitĂ©s dont on aurait pas imaginĂ© l’existence.

Tu n’as donc Ă©videmment pas fait de tournĂ©e pour promouvoir ce livre. Mais quel genre d'Ă©vĂ©nements as-tu organisĂ©s pour en faire la promotion ? Et comment as-tu fait pour faire parler de ton livre ?

L'une des choses que j'ai faites, c’est d'Ă©crire une newsletter hebdomadaire (sur Substack). C’est peut-ĂȘtre grĂące Ă  cela que nous avons Ă©tĂ© connectĂ©s. L’essentiel de ce que j’ai fait pour faire la promotion de mon livre, c’est d’écrire sur cette idĂ©e centrale de l’esprit d’incertitude. Cela a Ă©tĂ© un point de dĂ©part pour continuer Ă  explorer ce thĂšme. 

Cela n’est pas Ă©vident de faire une bonne promotion Ă  distance, quand les dĂ©placements physiques sont impossibles. Mais je vais de plus en plus organiser des Ă©vĂ©nements virtuels qui rassemblent des personnes que je trouve intĂ©ressantes et qui ont rĂ©flĂ©chi Ă  des questions qui, selon moi, sont liĂ©es Ă  cette idĂ©e d'incertitude et Ă  ses consĂ©quences. Cela concerne des domaines variĂ©s. Et il s’agit de personnes d’horizons divers, dont certaines travaillent sur ce sujet depuis des annĂ©es. 

C'est intĂ©ressant. La newsletter Substack, c’est une plateforme Ă©tonnante parce que c'est aussi une communautĂ©. Je pense donc qu'elle relie les gens autour du livre de The Uncertainty Mindset et qu'elle crĂ©e des conversations asynchrones mais Ă©tonnamment profondes et fortes. Je te fĂ©licite pour ta newsletter. N'arrĂȘte surtout pas de l'Ă©crire ! J'ai mis le lien pour ceux qui lisent cette interview. 

Ma question suivante porte sur toi et sur ce qui t’a conduit Ă  ce mĂ©lange intĂ©ressant, unique et dĂ©licieux, de la stratĂ©gie d’entreprise et de la gastronomie. Peux-tu raconter ta vie et expliquer comment tu en es arrivĂ© Ă  Ă©crire The Uncertainty Mindset ?

Absolument. Je pense que j'ai toujours fait des choses qui sont trĂšs difficiles Ă  relier entre elles. Pendant un temps, j’avais une passion pour le travail du bois. Ensuite j'ai travaillĂ© chez Google, et quand j'ai quittĂ© Google, eh bien, je suis allĂ© travailler dans une Ă©cole d’ébĂ©nisterie, dans un programme de mobilier d'art. Et puis aprĂšs cela, je suis allĂ© faire un doctorat en comportement organisationnel. 

Donc, le lien entre toutes ces choses n’est pas Ă©vident. Quand je regarde de l’extĂ©rieur, je me demande quelle est la cohĂ©rence. A priori, ces choix ne sont pas vraiment stratĂ©giques. C’est parce que j’ai toujours fait ce qui m’intĂ©ressait sur le moment, mĂȘme si cela n’avait rien Ă  voir avec une formation ou expĂ©rience passĂ©e. Travailler chez Google, ça voulait dire se lancer dans le numĂ©rique et l’informatique, alors que je n’avais pas Ă©tĂ© formĂ© Ă  ça. L'opportunitĂ© de travailler avec Google s'est prĂ©sentĂ©e de maniĂšre trĂšs inattendue. Mais ça a eu l’air amusant, alors j’ai saisi cette opportunitĂ©.

C'Ă©tait entre 2005 et 2008. C'Ă©tait donc juste aprĂšs leur introduction en bourse. C'Ă©tait probablement la pĂ©riode la plus stimulante pour travailler chez Google. C'Ă©tait trĂšs intĂ©ressant. Il y avait beaucoup de crĂ©ativitĂ©, mais c’était dĂ©jĂ  assez grand pour qu’il y ait d’immenses ressources Ă  disposition.

Et ça n’était pas encore assez grand pour devenir rigide ou ossifiĂ©. Donc on pouvait y trouver tout un tas de personnes “bizarres”, dont beaucoup sont encore des ami·e·s aujourd’hui. Tu sais, c'Ă©tait un peu comme une jungle tropicale oĂč, partout oĂč tu posais ton regard, il y a un Ă©cosystĂšme riche oĂč il se passait des choses intĂ©ressantes oĂč on pouvait passer des annĂ©es.

Il y a probablement encore beaucoup de gens intĂ©ressants, mais comme tu l’as dit, c'est devenu plus rigide Ă  bien des Ă©gards. Tout le monde n’est pas d’accord sur le moment Ă  partir duquel la culture s’est transformĂ©e chez Google et les choses ont cessĂ© d’ĂȘtre si stimulantes. Certains disent 2011, 2012, ou 2013, il y a de longs dĂ©bats Ă  ce sujet. Quel est ton avis sur la question ?

Je ne sais pas. À vrai dire j’ai senti que ce changement s’est produit pendant que j’y Ă©tais, donc avant. Quand j’ai rejoint Google, il y avait seulement 2800 employĂ©s, et c’était une pĂ©riode incroyablement excitante.  Et puis quand je suis parti, il y avait environ 20 000 personnes. Donc l’hypercroissance... Je pense que cela explique en grande partie cette transformation. Quand on a de plus en plus de personnes dans l’organisation, on ne peut plus conserver cette organisation flexible et improvisĂ©e du dĂ©but.   

On ne peut plus laisser les gens faire ce qu'ils veulent. On doit avoir des processus, des protocoles codifiĂ©s de maniĂšre rigide pour ne pas perdre le contrĂŽle. J'avais donc dĂ©jĂ  l'impression que les personnes vraiment intĂ©ressantes commençaient Ă  partir, et que c'Ă©tait le genre d'endroit oĂč les cadres supĂ©rieurs, et tous les managers, Ă©taient embauchĂ©s Ă  l'extĂ©rieur parce qu'il n'y avait aucun moyen de les faire monter de l'intĂ©rieur.

Et ces grandes venaient de grandes entreprises plus établies. Ou de cabinets comme McKinsey ? 

Oui, c’est exactement ça. Ils arrivaient donc avec une façon de travailler et une façon de penser diffĂ©rentes. Pour eux, une organisation, ça n’est pas l’improvisation. C’est quelque chose de structurĂ© et rigide.

En gĂ©nĂ©ral, je n’aime pas utiliser le mot “passionnĂ©â€, mais il est vraiment pertinent ici : quand j’ai commencĂ© Ă  travailler chez Google, c’était un endroit plein de gens passionnĂ©s. On y allait parce qu’on pouvait faire des choses importantes ou juste “bizarres”. 

Et quand je suis parti, en 2008, c’était diffĂ©rent. Certes il restait encore quelques clusters de gens passionnĂ©s, souvent plus ĂągĂ©s parce qu’ils avaient commencĂ© trĂšs tĂŽt et s’étaient taillĂ© un petit royaume Ă  leur mesure pour continuer Ă  y faire des choses intĂ©ressantes. Mais pour ceux qui ne faisaient pas partie de ces petits clusters, il y avait moins d’opportunitĂ©s. Moi je n’étais pas trĂšs senior. J’ai prĂ©fĂ©rĂ© partir.

Au fur et Ă  mesure que Google a grossi et a rencontrĂ© toujours plus de succĂšs, l’organisation s’est transformĂ©e, est devenue moins crĂ©ative et moins “bizarre”. C’est la diffĂ©rence fondamentale entre l’efficacitĂ© et l’innovation.

Je pense donc que lorsque j'ai commencĂ© Ă  travailler sur cette recherche, je venais de quitter Google et j'avais des donnĂ©es avec lesquelles je voulais travailler. À l'origine, j’étais chercheur quantitatif.

Quand je suis arrivé à l'université et que j'ai commencé à suivre des cours pour apprendre le raisonnement quantitatif avancé, je me suis rendu compte que c'était vraiment, vraiment ennuyeux. J'ai donc commencé à faire du travail de terrain à la place, parce que c'était une possibilité offerte aux étudiants de premier cycle et que je trouvais ça trÚs amusant. 

J'ai donc essayĂ© de faire un travail basĂ© sur l'observation et l'interview, et pour m’amuser, je suis allĂ© interviewer un chef incroyable, JosĂ© AndrĂ©s, qui a crĂ©Ă© un groupe de restaurants dans lequel il doit y avoir maintenant 16 ou 17 restaurants du monde entier. 

Il a Ă©galement crĂ©Ă© une organisation appelĂ©e World Central Kitchen, qui est une organisation Ă  but non lucratif de secours alimentaire aprĂšs une catastrophe. Ils se rendent dans des endroits oĂč il y a une catastrophe naturelle et mettent trĂšs rapidement en place ces cuisines Ă  partir de ressources locales. 

Ce qui est intĂ©ressant avec JosĂ©, c'est qu'il est tout Ă  fait prĂȘt Ă  prendre un risque. En l’occurrence, il a Ă©tĂ© prĂȘt Ă  prendre un risque avec quelqu'un qu'il ne connaĂźt pas du tout. Je me suis rendu Ă  son bureau aprĂšs une confĂ©rence qu'il a donnĂ©e Ă  Harvard, et je lui ai demandĂ© : “me laisseriez-vous Ă©tudier votre Ă©quipe de R&D et passer quelques semaines avec elle ?”

Je m'attendais Ă  ce qu'il me dise non. Mais il a acceptĂ©. Alors je me suis dit : "Super. Je vais aller voir ce qui se passe lĂ -bas”. Tout ça Ă©tait complĂštement accidentel. Je me suis seulement dit que c’était intĂ©ressant et amusant. 

Et tu as fini par rester dans ces cuisines pendant des années, n'est-ce pas ?

Oui. C'est mĂȘme ce que j’ai fait pendant la pĂ©riode de temps la plus longue. J’y ai fait des allers-retours pendant plusieurs pĂ©riodes, pendant presque une dĂ©cennie. Aujourd'hui moins car j'ai d'autres projets. Mais en tout, je les Ă©tudie depuis environ dix ans.

Est-ce que cela a fait de toi un chef ? Tu y as travaillé ou bien tu as juste regardé ?

J'ai travaillĂ© dans des restaurants, mais pas en cuisine. J'ai travaillĂ© en salle. À force d’étudier ces cuisines innovantes, au fil des ans, cela a fait de moi un bon cuisinier, mais pas un chef. Ce que j'aime cuisiner et aussi ce que j'aime manger, ce n'est pas de la gastronomie innovante. 

La pratique consistant à examiner les innovations continues en matiÚre de gastronomie a vraiment fait de moi quelqu'un qui veut des plats cuisinés simplement à partir de bons ingrédients, également cuisinés avec soin et technique. C'est tout. 

Souvent, quand on parle Ă  l'un des chefs qui travaillent dans ces cuisines de R&D, on apprend que c'est aussi ce qu'ils cuisinent Ă  la maison et ce qu'ils aiment manger Ă  l'extĂ©rieur. Quand tu vas manger des plats innovants, tu y vas parce que cela t’intĂ©resse et que tu t’y intĂ©resses du point de vue de la recherche.

C'est amusant de voir comment, souvent, les chefs, lorsqu'ils prennent leurs repas, se prĂ©parent juste une tranche d’un pain dĂ©licieux sur laquelle ils mettent le meilleur beurre, et c'est tout. Il y a une attention aux dĂ©tails et Ă  la simplicitĂ©, alors que le reste de leur travail est si sophistiquĂ© et complexe. 

En ce moment, dans les entreprises et les restaurants, on doit composer avec un niveau inédit d'incertitude. Dans ton livre, tu expliques la différence entre risque et incertitude. Peux-tu expliquer encore cette différence ? Comment s'applique-t-elle à ce que vivent les entreprises d'aujourd'hui ?

Merci d'avoir posĂ© cette question. Je veux toujours qu’on me la pose. La raison, c’est que je pense qu'il existe un grand malentendu sur le risque. Dans les deux cas (risque et incertitude), on ne sait pas ce qui va se passer ensuite. Mais dans une situation de risque, on connaĂźt tous les rĂ©sultats possibles qui pourraient se produire et quelle est la probabilitĂ© de chacun d'entre eux. On peut s’y prĂ©parer.

C’est ça qu’on appelle la gestion des risques. C’est ce que chacun essaie de faire. On essaye d'attĂ©nuer les risques en partant du principe que la situation est en fait risquĂ©e. On veut connaĂźtre toutes les Ă©ventualitĂ©s possibles et les probabilitĂ©s de ces Ă©ventualitĂ©s. 

En rĂ©alitĂ©, nous sommes trĂšs rarement dans la situation de connaĂźtre les issues possibles et leur probabilitĂ©. Le risque, ça serait comme avoir des dĂ©s non pipĂ©s. En rĂ©alitĂ©, les dĂ©s sont souvent pipĂ©s. Ce Ă  quoi nous sommes confrontĂ©s aujourd’hui, c’est de l’incertitude, de la vraie. On ne sait pas ce qui va se passer, ni les issues possibles, et encore moins leur probabilitĂ©.

Aujourd’hui, les entreprises et les individus sont confrontĂ©s Ă  une situation d’incertitude. Nous ne savons pas ce que l’avenir nous rĂ©serve, et nous rĂ©alisons qu’il est de plus en plus difficile de faire des plans pour l’avenir. Comment faire des plans quand on n’a pas la moindre idĂ©e de ce qui peut arriver (et encore moins de la probabilitĂ© qu’une chose se produise) ?

La plupart du temps, quand on ne sait pas ce qui va se produire, on parle Ă  tort de “risque”, alors qu’en fait il s'agit d’incertitude. Le problĂšme, c’est que quand on pense que quelque chose est risquĂ©, c’est qu’on pense qu’on peut faire des calculs pour prendre les meilleures dĂ©cisions, et “optimiser” la situation en faisant une analyse coĂ»ts-avantages. C’est fallacieux.

Avec la gestion des risques, on pense qu’on peut tout connaĂźtre. Cela a Ă©tĂ© un problĂšme dans la gestion de la crise sanitaire, oĂč ce qui a dominĂ©, c’est la culture de la gestion du risque et non l’esprit d’incertitude. 

Si vu du Royaume-Uni ou des États-Unis, on avait regardĂ© avec circonspection ce qui se passait en Chine en Italie, on n’aurait pas agi comme on l’a fait. On n’aurait pas fait cette analyse coĂ»ts-avantages qui a menĂ© Ă  la catastrophe.

Quand vous adoptez l’état d’esprit d’incertitude, vous apprenez Ă  ĂȘtre beaucoup plus prudent. La situation ne sera peut-ĂȘtre pas si catastrophique que cela, mais si elle le devient, alors ce sera terrible. TrĂšs tĂŽt dans la gestion de cette pandĂ©mie, on aurait dĂ» avoir cet Ă©tat d’esprit. On aurait davantage investi dans les tests et le traçage, et on n’aurait pas eu besoin de verrouiller le pays si longtemps. Cela aurait Ă©tĂ© plus efficace, et cela aurait coĂ»tĂ© moins cher.

Sauf en Inde peut-ĂȘtre. On a fait un confinement trop tĂŽt, alors qu’il n’y avait ni tests ni traçage. Les gens ont alors propagĂ© le virus dans les villages reculĂ©s. 

Oui. mĂȘme en prenant la bonne dĂ©cision au point A, cela ne signifie pas que l’on prend la bonne au point B. L'Inde a des dĂ©fis considĂ©rables Ă  relever. C'est un pays pauvre et c'est un trĂšs grand pays. Il n’est pas aussi Ă©troitement contrĂŽlable administrativement qu'un pays comme Taiwan, qui est beaucoup plus petit et plus riche.

Ou Singapour ?

Je n'ai pas l'habitude d'utiliser Singapour comme exemple parce qu'ils ont nĂ©gligĂ© une population trĂšs cruciale, celle des migrants. Mais oui, ceux qui ont fermĂ© trĂšs tĂŽt ont souvent  gagnĂ© du temps. Mais si vous n'utilisez pas ce temps pour faire quelque chose d'utile, il est perdu. On pourrait dire la mĂȘme chose de ce qui s'est passĂ© au Royaume-Uni : ils ont verrouillĂ© pendant trĂšs longtemps, ils ont ramenĂ© jour aprĂšs jour le nombre de nouveaux cas Ă  un niveau assez bas, tout Ă  fait gĂ©rable, mais ensuite ils n'ont pas investi dans des tests et un suivi suffisants.

Evidemment, je ne dis pas que j'aurais tout fait parfaitement. Mais quand on regarde ce qui a Ă©tĂ© fait, on se dit qu’on aurait quand mĂȘme pu faire autre chose. 

Oui, bien sûr, comme tu le dis, avec le recul, cela semble plus facile de juger. 

La diffĂ©rence entre risque et incertitude est Ă©troitement liĂ©e Ă  l'une des idĂ©es les plus importantes de ton livre, la diffĂ©rence entre efficacitĂ© et innovation. Et j'ai particuliĂšrement aimĂ© les pages oĂč tu expliques le changement de paradigme dans le monde de la gastronomie, de l'efficacitĂ© comme principe fondamental Ă  l'innovation comme principe fondamental.

Les deux existent en mĂȘme temps. Tu expliques de façon trĂšs convaincante que efficacitĂ© et innovation sont globalement incompatibles parce que pour innover, il faut une sorte de gaspillage. Peux-tu expliquer cela un peu plus en dĂ©tail ? Comment cela s'applique-t-il au monde de la cuisine ? Pourquoi ce qui se passe dans la cuisine apporte-t-il un Ă©clairage pertinent aussi dans les autres secteurs ?

Pour commencer, je dirais qu’il y a un continuum entre d’une part ce qu’on sait faire bien et qu’on cherche toujours Ă  optimiser (l’efficacitĂ©), et d’autre part, ce qu’on ne sait pas encore faire et qui reste Ă  inventer (l’innovation). 

L’efficacitĂ© et l’innovation sont les deux extrĂ©mitĂ©s de ce continuum. L’efficacitĂ© vient quand on peut faire toujours la mĂȘme chose et le faire en utilisant de moins en moins de ressources (temps, matiĂšres premiĂšres
). L’innovation, c’est trĂšs diffĂ©rent. Ce que beaucoup de gens n’admettent pas, c’est que pour innover, c’est-Ă -dire pour faire quelque chose de nouveau, il faut d’abord Ă©chouer.

Quand on fait quelque chose de nouveau, comme apprendre une nouvelle langue ou prĂ©parer un nouveau plat, ou encore concevoir un nouveau produit ou crĂ©er une entreprise (ce que je fais en ce moment), il est rare qu’on rĂ©ussisse du premier coup, Ă  moins d'avoir une chance incroyable. Mais je ne connais personne qui ait jamais rĂ©ussi du premier coup, parfaitement. 

Donc Ă  l’extrĂ©mitĂ© innovation du continuum, on doit ĂȘtre prĂȘt Ă  se tromper. Cela Ă©quivaut Ă  une perte de temps et de ressources, avant de rĂ©ussir. Et l'autre problĂšme avec l'innovation, c’est que mĂȘme quand on fait bien les choses, on ne le sait pas forcĂ©ment. 

Souvent, les meilleures innovations sont celles pour lesquelles il n'y a pas de demande immĂ©diate sur le marchĂ©. Parfois il faut trouver le marchĂ© pour cette innovation ou le crĂ©er. C’est pour cela que l’on continue de valoriser Steve Jobs et Apple Ă  ce point. 

Donc si tu as beaucoup beaucoup de chance, tu auras plus de succĂšs que de flops dans cette dĂ©marche d’innovation. Mais je pense que le continuum, comme tu l’as soulignĂ©, entre l'efficacitĂ© et l'innovation est simplement dĂ» au fait que tu ne peux pas innover sans Ă©chouer et donc gaspiller des ressources. 

Et si tu essayes d'ĂȘtre vraiment efficace, la seule façon de l'ĂȘtre, c’est de ne pas essayer de nouvelles choses. C'est pourquoi ces deux concepts sont opposĂ©s. Évidemment aucune entreprise n'est tout Ă  fait d'un cĂŽtĂ© ni tout Ă  fait de l'autre, sinon elle ne survivrait pas.

Les entreprises doivent toujours trouver un Ă©quilibre entre les deux. Et celles qui rĂ©ussissent sont celles qui ont des Ă©quipes qui expĂ©rimentent et qui Ă©chouent, qui dĂ©couvrent de nouvelles choses. Ces Ă©quipes doivent pouvoir s'intĂ©grer avec le reste de l'organisation qui elle est bonne pour affiner, produire avec efficacitĂ© ces choses nouvelles. L’exemple le plus cĂ©lĂšbre, que tout le monde connaĂźt, c’est Apple. 

Peut-ĂȘtre que ce n'est plus le cas.

Peut-ĂȘtre plus maintenant, en effet. Mais il y a certainement eu, je dirais, une pĂ©riode de 15, 20 ans oĂč Apple a excellĂ© dans ce domaine. MĂȘme faire cela pendant cinq ans, c’est dĂ©jĂ  incroyable. Pixar est un autre exemple – et il y a une infinitĂ© de petites entreprises moins connues oĂč il se passe des choses similaires.

Mais qu'en est-il des cuisines ? Que s'est-il passĂ© exactement avec cela ? Parce que tu dĂ©cris ce monde de la cuisine traditionnelle oĂč tout est question d'efficacitĂ©. Il y a un rĂŽle pour chacun. Il n'y a pas de gaspillage car les coĂ»ts fixes sont trĂšs Ă©levĂ©s. Il n'y a donc vraiment pas de place pour les erreurs et tout doit ĂȘtre parfait, et puis on recommence encore et encore.

Et puis soudain, tout change, avec la rĂ©volution numĂ©rique. D’un coup, les gens dans les cuisines commencent Ă  valoriser l'innovation bien plus que la tradition et l'efficacitĂ©. Comment ce changement s'est-il produit et qu'est-ce que cela signifie pour une Ă©volution plus gĂ©nĂ©rale de l'Ă©conomie ?

Ce sont en effet les termes dans lesquels j’ai commencĂ© Ă  rĂ©flĂ©chir Ă  tout cela. J’essayais de comprendre pourquoi, tout d'un coup, nous sommes passĂ©s des restaurants qui, comme tu le soulignes, essaient d’exceller dans la prĂ©paration des mĂȘmes plats, encore et encore. Parfois, ils proposent un nouveau plat parce qu’ils ont dĂ©couvert quelque chose, presque par accident. Mais proposer de nouveaux plats n’a jamais Ă©tĂ© la raison d’ĂȘtre de ces restaurants.

Or tout d'un coup, depuis environ cinq ou six ans, les choses se sont accĂ©lĂ©rĂ©es : on a vu Ă©merger des restaurants dont la raison d’ĂȘtre et de proposer sans cesse de nouvelles choses. C'est lĂ  une transition vraiment Ă©trange, que j’ai cherchĂ© Ă  comprendre.

Ce que j’ai dĂ©couvert, c’est qu’il y a en fait eu plusieurs tendances qui ont coĂŻncidĂ© dans le temps. En se combinant, elles ont en quelque sorte fait dĂ©border le vase. L’émergence des rĂ©seaux sociaux est l’une de ces tendances. En prĂ©sence de grands chefs qui sont animĂ©s d’un esprit de compĂ©tition, l’élargissement du terrain de jeu Ă  Twitter ou Instagram et la stimulation qui en a rĂ©sultĂ© a forcĂ©ment contribuĂ© Ă  augmenter le rythme de l’innovation. 

Une autre chose qui se produit est cette idĂ©e de plate-forme de la connaissance. Si on essaie de cuisiner des aliments modernes, de façon innovante et trĂšs scientifique, ce qu’on appelait Ă  une Ă©poque la gastronomie molĂ©culaire, on rencontre forcĂ©ment des obstacles. Par exemple, la plupart des chefs ne sont pas formĂ©s Ă  la recherche en laboratoire. Cela requiert une connaissance avancĂ©e non seulement d’ingrĂ©dients qui ne sont pas courants dans les cuisines, mais aussi des techniques qui ressemblent davantage Ă  des techniques de laboratoire. Aucune de ces connaissances n'Ă©tait rĂ©pandue dans l'industrie. Et ceux qui voulaient s’adonner Ă  de l'innovation gastronomique n’avaient pas d’autre choix que de construire leur propre laboratoire dans les cuisines de leur restaurant.

Et puis tout d'un coup, il y a eu ces blogs. Et puis des blogs sont nĂ©s les forums, et des livres spĂ©cialisĂ©s. Et tous ces livres, en combinaison, distribuaient et diffusaient des informations sur la façon de faire les choses qui permettaient aux gens qui voulaient trouver de nouvelles idĂ©es et de nouveaux aliments de sortir et de faire les choses eux-mĂȘmes.

Une troisiĂšme chose importante est que pendant longtemps, il y a eu ces gardiens de l'information sur ce qu'est la qualitĂ© en gastronomie. Il y avait le Guide Michelin, des cĂ©lĂšbres critiques qui Ă©crivaient dans des journaux Ă©tablis. Et le mĂ©tier de ces gens-lĂ , c’était de se rendre dans les mĂȘmes restaurants encore et encore pour les Ă©valuer. Et l’obsession de tous ces gens-lĂ , c’était la constance : il fallait que les plats et leur qualitĂ© soient les mĂȘmes d’une fois sur l’autre.

Et puis soudain, parce qu'avec la rĂ©volution Internet, une des choses qui s'est produite, ce qui est formidable, dont nous avons parlĂ© avec Substack, c'est que les individus n’ont plus eu besoin des grandes institutions pour accĂ©der Ă  du contenu. Et donc les blogs et les forums, qui ont commencĂ© Ă  exercer de l’influence via des applications comme Instagram, ont fait Ă©merger des critiques d’un genre diffĂ©rent : des individus dont ce n’est pas le mĂ©tier d’ĂȘtre critique, et donc dont on n’attend pas qu’ils se rendent toujours dans les mĂȘmes restaurants pour vĂ©rifier la constance.

Ce que font tous ces individus, c’est qu’ils essaient de se positionner par rapport aux critiques professionnels et de faire les choses diffĂ©remment – de porter un regard diffĂ©rent sur le monde de la restauration. Par exemple, la plupart de ces individus ne se rendent dans un restaurant donnĂ© qu’une seule fois dans leur vie. Ils sont en quĂȘte de nouveautĂ© plutĂŽt que de constance !

Et Ă  mesure que leur influence grandissait, les restaurants intĂ©ressants et innovants qui offraient Ă  leurs clients une nouvelle expĂ©rience Ă  chaque visite sont devenus les restaurants qui ont en quelque sorte Ă©mergĂ© au sommet de ce monde alternatif, alors que tous les restaurants traditionnels conventionnels oĂč l'accent Ă©tait mis sur la constance de l’exĂ©cution ont continuĂ© de dominer dans une hiĂ©rarchie plus traditionnelle. 

Dans l’ensemble, on a donc plusieurs tendances : le dĂ©veloppement d'une plateforme de connaissances Ă  laquelle tout le monde peut accĂ©der, le fait qu'il y a soudain un moyen pour les chefs de se parler via les rĂ©seaux sociaux et les confĂ©rences, et la relĂšve parmi les prescripteurs – qui peut dĂ©clarer qu’un restaurant vaut le dĂ©tour ou pas. Ces trois tendances, combinĂ©es, ont contribuĂ© Ă  la formulation d’un nouveau message : celui selon lequel il faut mettre l’accent sur l’innovation.

C'est intĂ©ressant. La mĂȘme chose est arrivĂ©e Ă  l'informatique, qui avait aussi ses gardiens du temple – des institutions comme l’universitĂ© Stanford ou Imperial College Ă  Londres. Et puis soudain, il y a eu le mouvement open source et l’émergence de plateformes comme Github et Stack Overflow, qui a permis aux dĂ©veloppeurs d’ĂȘtre reconnus par leur pair sans l’intermĂ©diation d’institutions. Penses-tu que la mĂȘme chose est arrivĂ©e dans le monde de la gastronomie ?

Je pense en effet que cette dynamique existe dans de nombreux secteurs. En informatique ou en dĂ©veloppement de logiciels, on observe des tendances similaires. Comme tu l’as soulignĂ©, la qualitĂ© a longtemps dĂ©pendu de l’intermĂ©diation de grandes institutions comme IBM et Microsoft. 

Mais maintenant, n’importe qui peut Ă©crire des lignes de code en recourant Ă  des plateformes qui leur fournissent l’infrastructure pour ce faire. Avec Amazon Web Services, par exemple, il n’y a plus besoin d’avoir une grande entreprise derriĂšre soi pour dĂ©ployer une infrastructure. Idem pour d’autres plateformes comme l'App Store, par exemple.

Les app stores sont ainsi devenus des canaux de distribution pour les personnes qui lancent de nouveaux produits logiciels. Je pense que des mĂ©canismes similaires sont Ă  l'Ɠuvre dans de nombreux secteurs. Une idĂ©e que j'essaie de promouvoir avec ce livre, c'est l'idĂ©e selon laquelle on ne peut comprendre les grands changements de notre Ă©poque que si on s’intĂ©resse Ă  de petits changements qui n’ont l’air de rien au premier abord.

Car si tous ces petits changements surviennent tous en mĂȘme temps, alors ils font basculer les choses. On observe cela dans la musique, certainement un domaine oĂč cela s'est probablement produit au cours des six ou sept derniĂšres annĂ©es. Dans les mĂ©dias, le secteur de la presse a complĂštement changĂ© ces huit derniĂšres annĂ©es, et surtout ces quatre derniĂšres annĂ©es, pour des raisons trĂšs similaires. L’univers de la vidĂ©o mettra un peu plus de temps Ă  changer, mais la mĂȘme chose est en train de s’y produire.

Ce nouveau paradigme met Ă  l’épreuve les managers, qui ont longtemps considĂ©rĂ© les emplois comme des concepts monolithiques, avec fiche de poste et liste de tĂąches Ă  exĂ©cuter.. Mais comme tu le dis, si l’objectif est d'innover, alors, eh bien, il faut accepter qu'il n'y a pas de place pour ce management monolithique : les emplois doivent changer et Ă©voluer en permanence. 

Une autre chose que tu signales est que les membres de ces Ă©quipes innovantes ont des façons vraiment intĂ©ressantes de travailler ensemble et d'apprendre les uns des autres. A quoi ressemble l'organisation du travail dans un univers qui promeut Ă  ce point l’innovation ? Quels sont les principaux Ă©lĂ©ments pour la faire fonctionner ?

J’apprĂ©cie beaucoup que tu me poses cette question ! Je pense que l'Ă©lĂ©ment clĂ© des rĂŽles individuels dans toute entreprise ou organisation est que depuis plusieurs dĂ©cennies maintenant, nous pensons qu'il est prĂ©fĂ©rable pour tout employĂ© de savoir avec certitude quel rĂŽle il joue. Il faut donc savoir quelles sont les tĂąches qu'il doit accomplir, comment il va ĂȘtre Ă©valuĂ© sur ces tĂąches.

Il faut que tout soit stable,complet, prĂ©visible. Il faut ĂȘtre capable de dĂ©crire tout ce que fait un employĂ© et l’idĂ©e est que rien de tout cela ne doit changer jusqu’à ce que cet employĂ© soit promu ou mutĂ© dans une autre fonction. L’idĂ©e des tĂąches normalisĂ©es est en quelque sorte l'hypothĂšse par dĂ©faut. C'est tellement par dĂ©faut que les gens n'y pensent mĂȘme pas dans la pratique ou dans les recherches dans le domaine du management.

Quant Ă  moi, ma principale objection Ă  cette façon de penser est trĂšs simple, trĂšs logique. Je pense que quiconque se donne pour objectif d’innover ne sait mĂȘme pas encore ce qu’il essaie de faire.

Dans ces conditions, comment dĂ©finir le travail de quelqu'un de façon complĂšte et constante ? C'est un premier problĂšme. Disons que vous ĂȘtes une entreprise orientĂ©e vers l'innovation et que vous dites que vous voulez innover. Comment pouvez-vous avoir des fonctions stables et complĂštes, dĂ©finies Ă  l'avance ? Logiquement, cela ne fonctionne pas.

L'autre problĂšme est que toutes les entreprises ne se disent peut-ĂȘtre pas qu'elles veulent innover Ă  tout prix, mais elles n’en sont pas moins confrontĂ©es Ă  une grande incertitude.

Or face Ă  l’incertitude, il est impossible de savoir ce que va devenir l’entreprise, ni ce que les employĂ©s doivent faire en son sein. Dans un contexte d’incertitude, comment dĂ©finir le rĂŽle de chaque employĂ© de maniĂšre complĂšte, stable et anticipĂ©e ? LĂ  encore, en toute logique, cela ne fonctionne pas. Donc, si quelqu'un me demande pourquoi je pense qu'il faut des rĂŽles nĂ©gociĂ©s et des rĂŽles ouverts, ce dont je parle comme alternative, c'est parce que c’est la seule option pour quiconque veut innover.

De mĂȘme qu’en situation d'incertitude, il est indispensable d’avoir des rĂŽles ouverts. Il n'y a pas d'autre option. Donc, en pratique, que se passe-t-il ? Je pense que la chose la plus importante qui se passe si vous avez un rĂŽle Ă  durĂ©e indĂ©terminĂ©e, les deux choses les plus importantes, la premiĂšre est que l'employĂ© et l'organisation, les autres membres de l'Ă©quipe, le manager, les dirigeants, doivent tous reconnaĂźtre explicitement que le rĂŽle de chacun est indĂ©terminĂ©.

L’indĂ©termination ne signifie pas que l’organisation est amorphe. Il est tout Ă  fait possible de dĂ©crire Ă  un employĂ© 60, 70, voire 80 % des tĂąches qu’il aura Ă  accomplir, tout en lui disant que le reste est encore inconnu dans un contexte d’incertitude.

Et le rĂŽle de chaque employĂ©, prĂ©cisĂ©ment, est de contribuer Ă  la dĂ©termination de son propre travail : en rĂ©vĂ©lant ce qu’il ou elle aime faire, en dĂ©veloppant sa propre sensibilitĂ© Ă  son environnement, en faisant valoir son point de vue. Et ces deux choses, je pense, permettent instantanĂ©ment d'avoir un rĂŽle ouvert qui n’échappe pas Ă  l’emprise de l’organisation mais, au contraire, peut aider cette organisation Ă  dĂ©couvrir de nouvelles choses Ă  faire. La premiĂšre chose Ă  faire est donc de s'assurer que l'employĂ© et l'organisation comprennent tous deux que le rĂŽle est ouvert et dans quelle mesure il l'est.

Il faut juste qu'il y ait une discussion ouverte à ce sujet, et non pas que l'organisation suppose que l'employé sait ou que l'employé suppose que l'organisation a réellement eu une conversation sur la part du rÎle qui est fixe et celle qui est libre.

Un autre aspect important est qu’il faut traiter tout le travail comme un moyen de dĂ©terminer si quelqu'un est bon pour faire quelque chose. Et je sais que cela semble vraiment brutal, comme si vous Ă©tiez toujours testĂ©, mais ce n'est en fait pas aussi onĂ©reux que cela en a l'air. Parce que si chaque chose que vous faites est potentiellement un test, alors la plupart des choses qui sont des tests sont vraiment, vraiment Ă  petite Ă©chelle.

Et cela signifie que vous n'avez pas Ă  y penser. À un moment donnĂ©, tout le monde commence Ă  utiliser toutes ces choses dans lesquelles vous excellez au quotidien : si c’est un restaurant, ça peut ĂȘtre l’excellence dans la prĂ©paration d’une nouvelle sauce ; si c’est un cabinet d'avocats, c'est la façon dont une personne donnĂ©e rĂ©dige un contrat. Chaque tĂąche qui vous est confiĂ©e devient un moyen de montrer que vous savez comment faire quelque chose de bien. Et pour tous les autres, c'est une façon d’observer si cette personne excelle ou non dans l’exĂ©cution d’une tĂąche donnĂ©e.

Et cela permet de crĂ©er ces Ă©quipes intĂ©ressantes que tu as mentionnĂ©es, des Ă©quipes qui savent de maniĂšre trĂšs dĂ©taillĂ©e ce que tous les autres membres de l'Ă©quipe savent faire et aiment faire, de sorte qu'il n'est pas nĂ©cessaire de les manager aussi activement. Vous avez donc ces Ă©quipes qui se gĂšrent elles-mĂȘmes parce que quand un nouveau dĂ©fi Ă©merge de l’incertitude, elles savent exactement comment se positionner et se recomposer pour le relever.

qu'elles savent, une nouvelle chose apparaĂźt que l'Ă©quipe doit faire, elles n'ont mĂȘme pas besoin que quelqu'un leur dise de le faire.

Elles sont sur le coup et elles ne sont pas sur le coup juste dans le sens oĂč, oh, nous ne savons pas comment rĂ©partir le travail entre nous. En fait, ils sont sur le coup dans le sens oĂč, oui, je vais juste supposer que ce type va le faire. C'est quelque chose que cette personne va faire parce qu'elle est douĂ©e pour le faire et qu'elle veut le faire. Et ce sera une croyance exacte parce qu'ils ont passĂ© le processus de tester Ă  la fois ce pour quoi ils sont bons et aussi ce qu'ils veulent faire chaque jour oĂč ils ont travaillĂ© ensemble.

C'est donc une façon diffĂ©rente de penser Ă  la façon dont les Ă©quipes se construisent. Il ne s'agit pas de constituer une Ă©quipe au dĂ©but et de s'assurer qu'elle fait des exercices de construction d'Ă©quipe pendant trois jours, puis de les terminer. C'est cette idĂ©e que tout se passe lentement et continument et donc de façon plus exhaustive, beaucoup plus dans le dĂ©tail et de façon continue pendant toute la pĂ©riode oĂč les membres de cette Ă©quipe travaillent ensemble.

Tout cela se passe donc dans la cuisine. Mais dans l’une de tes rĂ©centes newsletters, tu as rĂ©pondu Ă  une question qui a dĂ» t’ĂȘtre beaucoup posĂ©e pendant la pandĂ©mie : qu'en est-il du travail Ă  distance ? Comment les choses se passent-elles si les gens ne sont pas ensemble dans la mĂȘme piĂšce ? Comment interagir de maniĂšre aussi riche dans ces conditions ? 

Oui, je pense que le travail Ă  distance est problĂ©matique pour toutes les Ă©quipes dont les interactions se concentrent autour de choses comme une assiette de nourriture ou le modĂšle d'une voiture ou comme un modĂšle architectural ou mĂȘme un film.

Si le rĂ©sultat du travail d’un individu peut ĂȘtre transmis Ă  d'autres personnes pour qu'elles le regardent, y rĂ©flĂ©chissent et le commentent, alors le travail Ă  distance est possible. Nous-mĂȘmes, notre travail est de cet ordre : nous Ă©crivons des courriels, nous rĂ©digeons des documents, nous organisons des rĂ©unions. Toutes ces choses peuvent se produire virtuellement. Tant que le produit du travail peut ĂȘtre Ă©valuĂ©, le travail Ă  distance ne constitue pas un obstacle insurmontable Ă  ce genre de travail d'Ă©quipe.

Un autre aspect important, c’est le partage au fil de l’eau. Au lieu d’attendre de disposer d’un produit fini, il faut partager le travail au fil de l’eau pour permettre aux autres de membre de l’équipe de comprendre la façon de penser et de travailler de chacun.

Il est impossible de dessiner cette carte mentale des membres d’une mĂȘme Ă©quipe, de ce qu’ils aiment faire ou pas faire, Ă  moins d'interagir de façon continue dans un contexte de travail. L’une des choses que je suggĂšre pour faciliter le travail Ă  distance est de s'habituer au fait que le travail Ă  distance peut parfois sembler inefficace : parfois, il s’agit de se rĂ©unir Ă  distance simplement pour parler du travail en cours et donner un retour d'information aux autres.

Il semblerait plus logique d’attendre qu’un projet ait abouti et que chaque rĂ©union se dĂ©roule aussi vite que possible. Mais si on s’en tient Ă  ça, alors on n’apprend pas Ă  penser avec d'autres personnes, on ne dĂ©couvre pas comment les autres pensent, on passe Ă  cĂŽtĂ© de tout cela. Je pense donc que le travail Ă  distance est un dĂ©fi pour l’organisation du travail, mais ce dĂ©fi est loin d’ĂȘtre insurmontable.

IntĂ©ressant. Ma prochaine question concerne l'inconfort, que tu as dĂ©jĂ  mentionnĂ©. L'innovation requiert de s’adonner Ă  des disciplines qu’on ne maĂźtrise pas encore parfaitement. Or peu de gens consentent Ă  ne pas exceller dans un domaine : ce n'est pas bon pour l’ego. Du coup, tu as beaucoup Ă©crit sur l'aspect paradoxal de la motivation en matiĂšre d’innovation. Et tu introduis cette idĂ©e du “dĂ©sespoir programmĂ©â€. Peux-tu nous expliquer ce que tu entends par lĂ  ? Plus gĂ©nĂ©ralement, qu'est-ce qui, selon toi, est important pour la motivation Ă  notre Ă©poque ?

Absolument. L’un des problĂšmes avec l’innovation c’est qu’elle a pour corollaire la frĂ©quence des Ă©checs. Or quiconque veut Ă©viter l'Ă©chec a tendance Ă  se limiter Ă  ce qu’il sait dĂ©jĂ  faire.

Prenons un exemple qui m’est familier ces temps-ci : apprendre une nouvelle langue. Toute personne qui, comme moi, se plie Ă  cette discipline se retrouve constamment dans des situations oĂč elle emploie un mot Ă  mauvais escient ou bien le prononce de façon incorrecte. C'est embarrassant ! Le problĂšme, nous le savons tous, c’est qu’il est impossible d’apprendre et de se dĂ©velopper en tant qu'individu sans passer par cette phase inconfortable oĂč les choses ne fonctionnent pas encore.

Et donc cette idĂ©e de dĂ©sespoir programmĂ©, elle est en fait venue, Ă©videmment, en regardant les gens le faire dans les cuisines des grands restaurants. Parce que nous savons Ă  quel point il est difficile d’ĂȘtre confrontĂ© Ă  l’échec, une approche possible est de placer les individus dans des situations oĂč ils n’ont pas le choix. C’est de lĂ  que vient ce concept du “dĂ©sespoir programmĂ©â€ : l’enjeu est d’amener les gens Ă  se lancer dans des entreprises oĂč ils sont Ă  peu prĂšs certains d’échouer et de leur donner un dĂ©lai prĂ©cis au terme duquel ils doivent passer Ă  autre chose. L’objectif, Ă©videmment, est qu’ils apprennent quelque chose et progressent au passage !

C'est cette inspiration d’une petite quantitĂ© de dĂ©sespoir qui dĂ©bloque tout cet apprentissage. C'est pourquoi j'utilise souvent l'analogie de l'entraĂźnement Ă  la rĂ©sistance physique. PlutĂŽt que de se lancer immĂ©diatement dans les Ă©preuves les plus difficiles, on commence par chercher Ă  atteindre des objectifs qui sont Ă  notre portĂ©e – un peu comme des athlĂštes qui ne cherchent pas d’emblĂ©e Ă  battre des records, mais commencent par explorer leurs limites. L’enjeu, c’est de calibrer : de commencer par une tĂąche qui est Ă  sa portĂ©e, puis de pousser un peu plus loin. Il s’agit d’un processus de dĂ©veloppement Ă  la fois cognitif et, dans certains cas, physique. Et pour moi, la mĂȘme chose se produit Ă  l’échelle de toute une Ă©quipe – comme un individu, une Ă©quipe composĂ©e de plusieurs individus sait explorer les limites de ce qu’elle peut faire et, pour cela, elle cherche Ă  surmonter l’épreuve du dĂ©sespoir programmĂ©.

Tout cela change aussi notre vision du leadership. Le rĂŽle d’un leader, dans une Ă©quipe, c’est de cerner les limites de cette Ă©quipe Ă  un instant donnĂ©, puis de chercher Ă  la pousser un peu plus loin, jusqu’à ce que cette Ă©quipe se sente Ă  l’aise dans cette situation permanente de “dĂ©sespoir programmĂ©â€ – qui ne fait que reflĂ©ter l’incertitude gĂ©nĂ©ralisĂ©e qui environne l’organisation. J’ai observĂ© cela dans mes recherches : des Ă©quipes que j’ai vues longtemps dĂ©stabilisĂ©es face Ă  l’incertitude ont fini par prendre leurs marques et s’habituer Ă  l’idĂ©e de se mouvoir dans l’incertitude.

Ce n’est pas Ă©vident du tout ! Rien de tout cela n'est arrivĂ© du jour au lendemain. C'est arrivĂ© parce qu'au fil des annĂ©es, ces Ă©quipes ont appris Ă  faire des choses de plus en plus difficiles, mais elles ont aussi appris cette mĂ©ta-compĂ©tence qui consiste Ă  faire quelque chose qui n’est pas maĂźtrisĂ© au dĂ©part –  et Ă  s’habituer Ă  l’idĂ©e que l’échec n’est pas un problĂšme.

Je dis ça, mais moi-mĂȘme je dĂ©teste l'Ă©chec et je fais de mon mieux pour l'Ă©viter. En mĂȘme temps, je sais, et nous savons tous, que la plupart du temps quand on Ă©choue, les consĂ©quences sont insignifiantes. Ce que ces Ă©quipes ont fait, c'est qu'en se projetant progressivement plus loin qu'elles ne pouvaient aller, elles ont acquis la capacitĂ© de savoir que l'Ă©chec est gĂ©nĂ©ralement acceptable. Elles ont Ă©galement Ă©tĂ© capables de surmonter cet obstacle profond, viscĂ©ral, Ă©motionnel, quel que soit le nom qu'on lui donne, qui les empĂȘche de faire des choses qui pourraient Ă©chouer – cet instinct presque animal de la peur face Ă  l'Ă©chec, qui elle-mĂȘme entraĂźne de la rĂ©ticence face Ă  la difficultĂ©.

En surmontant cet obstacle, ces Ă©quipes finissent par admettre que mĂȘme si c’est difficile, cela vaut quand mĂȘme le coup d’ĂȘtre tentĂ©. Et c'est en fait trĂšs satisfaisant car, qu’on rĂ©ussisse ou qu’on Ă©choue, on apprend beaucoup de choses et on est ainsi mieux prĂ©parĂ© pour le prochain tour. Je ne sais donc pas combien de temps une Ă©quipe peut tenir dans l’absolu, mais celles que j’ai observĂ©es dans mes recherches ne cessent de progresser et de progresser encore.

C'est incroyable. On dirait d’ailleurs que tu t’appliques ces principes Ă  toi-mĂȘme, n’est-ce pas ? Tu as dĂ©mĂ©nagĂ© en France pendant la pandĂ©mie, avec ce qui semble ĂȘtre un nouveau dĂ©fi ou un nouveau projet ? Je ne sais pas si tu as envie de parler de cela, de ton prochain projet et de ce sur quoi tu travailles actuellement. Mais tu es manifestement prĂȘt Ă  accepter le malaise et le dĂ©fi de ne pas ĂȘtre bon dans quelque chose. Par exemple, tu as mentionnĂ© l'apprentissage du français et la difficultĂ© d'apprendre une nouvelle langue et d'ĂȘtre immergĂ© dans une culture Ă©trangĂšre.

Que peux-tu nous en dire ? Qu'est-ce qui t’a amenĂ© en France dans cette pĂ©riode de pandĂ©mie ?

Eh bien, ce qui m'a amenĂ© en France, c'est que j'ai un projet de recherche Ă  long terme sur le vin naturel. Il Ă©tait donc logique de venir dans un pays oĂč l'on fait du vin, comme la France. Malheureusement, en ce moment, ce n'est pas vraiment un projet qui peut ĂȘtre poursuivi. L'autre projet qui m'a fait sortir de Londres, je ne peux pas encore en parler, mais j’en parlerai bientĂŽt !

Pour tout dire, cette pĂ©riode de pandĂ©mie rend possible des choses que je n’aurais jamais envisagĂ©es par le passĂ©. Dans un environnement stable, beaucoup de choses que j’ai entreprises rĂ©cemment n'auraient jamais vu le jour. Mais maintenant que la pandĂ©mie inspire de l’incertitude de toutes parts,  dĂ©mĂ©nager dans autre pays et apprendre une nouvelle langue ne semblent pas un dĂ©fi insurmontable !

Oui, le coût marginal semble faible, compte tenu du contexte !

Oui ! Je ne sais pas si tu ressens la mĂȘme chose, mais Ă  mes yeux beaucoup de gens se disent dĂ©sormais que, foutu pour foutu, autant tenter des choses qui semblent vouĂ©es Ă  l’échec. Peut-ĂȘtre que ces efforts n’aboutiront Ă  rien de concret, mais au moins nous aurons appris beaucoup de choses au passage.

Il est donc assez agrĂ©able, dans un sens, d'ĂȘtre mis dans une situation oĂč il est facile de prendre une dĂ©cision difficile comme celle-ci, alors que jusqu’au mois de mars tout Ă©tait si stable, confortable et prĂ©visible ! Le contraste entre la confiance normale de tous les jours et le malaise et l'insĂ©curitĂ© incroyables qu'il y a probablement Ă  changer cette vie devient dĂ©courageant et impossible. Mais quand tout est comme ça, qui sait ce qui va se passer ? Soudain, tout est plus facile.

Ou encore, il n'y a, disons, aucune raison de ne pas le faire. Comme tu le dis, puisque nous sommes foutus, autant nous amuser et relever des nouveaux dĂ©fis ! J'aime cette conclusion parce que dans le contexte de ce pessimisme ambiant, c’est une approche trĂšs optimiste des choses – une vision positive du monde que nous pouvons tous partager.

Je ne veux pas prendre trop de ton temps – cela fait dĂ©jĂ  une heure que nous sommes ensemble ! Merci beaucoup, Vaughn, pour cette conversation fascinante. Et j'espĂšre que nous pourrons en reparler bientĂŽt, lorsque tu pourras nous en dire plus sur tes nouveaux projets. Bonne chance Ă  toi !

J'ai hĂąte d'y ĂȘtre. En fait, juste pour donner un aperçu, c'est quelque chose qui s'applique Ă  tous les citoyens europĂ©ens. Et je pense que c'est une chose assez importante pour tous les citoyens europĂ©ens. J'espĂšre donc que nous pourrons en parler trĂšs, trĂšs bientĂŽt. Je l'espĂšre.

Tiens-nous au courant ! Merci encore, au revoir et Ă  bientĂŽt.

Merci beaucoup de m’avoir invitĂ© !

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(GĂ©nĂ©rique : Franz Liszt, Angelus ! PriĂšre Aux Anges Gardiens—extrait du disque Miroirs de Jonas Vitaud, NoMadMusic.)



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