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đ L'avenir des librairies. Regard sur trois continents avec Bruno Maçães.
Nouveau DĂ©part
French - December 07, 2020 05:31 - 5 minutesNews Commentary News Business Homepage Download Apple Podcasts Google Podcasts Overcast Castro Pocket Casts RSS feed
Bonjour Ă tous ! DĂ©sormais, chaque lundi nous vous envoyons Ă la fois un âĂditoâ au format Ă©crit đđ ET audio đ§âïž, une interview avec un invitĂ© passionnant (francophone ou non) et quelques informations pour Ă la fois mettre la semaine Ă venir en perspective et rappeler les contenus mis en ligne la semaine prĂ©cĂ©dente.
LâannĂ©e 2020 aura aussi Ă©tĂ© lâannĂ©e des grands dĂ©bats sur lâavenir des librairies. Les confinements et la fermeture forcĂ©e des librairies dont ils se sont accompagnĂ©s, mais aussi la montĂ©e fulgurante du commerce en ligne et du poids dâAmazon, font craindre le pire pour lâavenir des librairies Ă Paris, et partout en France.Â
Pour certains, qualifier les librairies de âcommerces non essentielsâ, câest une attaque de plus contre la culture alors mĂȘme que nous avons tant besoin des nourritures de lâesprit que nous apportent les livres. Pour dâautres, les dĂ©bats sur les librairies masquent une mĂ©connaissance des tendances de fond de la sociĂ©tĂ© et du commerce.Â
Amazon vend certes beaucoup de livres, mais ce sont surtout les grandes surfaces âqui font mal aux librairiesâ depuis des annĂ©es. Par ailleurs, quand vous nâhabitez pas dans une grande ville, il est probable que vous nâavez pas vraiment accĂšs Ă une librairie, avec ou sans pandĂ©mie. âLa fermeture des librairies est-elle un problĂšme de bourges ?â sâinterrogeait Slate il y quelques jours, en soulignant aussi que âle Ve arrondissement parisien en concentre plus de cent Ă lui seul, les Hautes Alpes en comptent neuf au total. Il faut vivre dans un certain contexte pour avoir le rĂ©flexe librairie.â
Les librairies, comme une grande partie des commerces urbains de proximitĂ©, ont beaucoup souffert cette annĂ©e. Mais la crise actuelle ne fait quâamplifier une tendance qui lui prĂ©existait. Le paysage des librairies et commerces de quartier se transforme depuis des annĂ©es sous lâeffet de trois phĂ©nomĂšnes : la transition numĂ©rique, les transformations des attentes culturelles des consommateurs, et la montĂ©e des prix de lâimmobilier dans les centres des villes les plus denses comme Paris.
Ă bien des Ă©gards, lâhistoire de Gibert Jeune est emblĂ©matique de ces phĂ©nomĂšnes. Dans cette librairie historique du quartier latin, fondĂ©e Ă la fin du XIXe siĂšcle, des gĂ©nĂ©rations dâĂ©tudiants (dont jâai fait partie) ont achetĂ© leurs manuels et sont allĂ©s flĂąner pour le plaisir. On vient tout rĂ©cemment dâannoncer que la librairie devrait ĂȘtre placĂ©e en cessation dâactivitĂ©s le 31 mars 2021. Comme dâautres magasins du quartier, Gibert nâaura pas survĂ©cu Ă la pandĂ©mie.
La fin probable de cette icĂŽne du quartier latin a mĂȘme fait lâobjet dâun article dâanalyse du Financial Times. Pour la journaliste du FT, âLe Covid a laissĂ© de profondes cicatrices dans le paysage urbain. Jâai rĂ©cemment comptĂ© 12 façades de magasins vides le long du boulevard St Michel, sur le tronçon de moins dâun kilomĂštre qui va de la fontaine aux jardins du Luxembourg.âÂ
Mais les problĂšmes de ces commerces ne sont pas seulement liĂ©s au virus (bien que la disparition des touristes et des Ă©tudiants soit effectivement dĂ©sastreuse pour eux). En fait, Gibert Jeune Ă©tait en difficultĂ© depuis des annĂ©es dĂ©jĂ , incapable de se positionner dans un monde en transition : trop lent et mauvais sur le numĂ©rique, mais aussi trop âmoyenâ et âmainstreamâ pour offrir aux clients le cachet artisanal et authentique dâune librairie singuliĂšre. Dans ces conditions, lâaugmentation des prix de lâimmobilier avait dĂ©jĂ condamnĂ© Gibert Jeune.
Depuis plusieurs annĂ©es, il se passe ainsi Ă Paris ce qui sâest passĂ© Ă New York ou Ă Madrid : Ă mesure que grimpent les loyers des magasins et des bureaux, les commerces singuliers sont progressivement remplacĂ©s par des Starbucks, Zara et H&M. Et la vitalitĂ© du commerce de dĂ©tail et la diversitĂ© du tissu social laissent la place Ă la âville franchisĂ©eâ.Â
Certaines municipalitĂ©s, dont Paris, ont bien conscience de ce phĂ©nomĂšne et choisissent donc de subventionner ces petits commerces de quartier, dont les librairies et les Ă©choppes dâartisans. Ces politiques satisfont aussi les habitants des centres de ces grandes villes, cadres, bobos et hipsters de la âgentrificationâ, avides de nĂ©o-artisanat, de singularitĂ©, et dâauthenticitĂ©.
La pandĂ©mie pourrait accĂ©lĂ©rer encore plus la transformation du paysage du commerce urbain. Dâabord, elle accĂ©lĂšre lâadoption des achats en ligne et stimule le travail Ă distance, accĂ©lĂ©rant le dĂ©clin des quartiers dâaffaires comme La DĂ©fense, mais aussi le dĂ©clin des commerces âmoyensâ â ni grandes surfaces, ni petit commerce singulier â qui ont peu dâarguments face Ă Amazon et aux hypermarchĂ©s.
Mais dans un second temps, il nâest pas impossible quâil y ait Ă©galement dâautres effets, plus positifs, sur la diversitĂ© du tissu commercial. Si les prix de lâimmobilier commercial chutent autant que le craignent certains experts, alors les loyers pourraient baisser suffisamment pour que des artisans et entrepreneurs innovants osent ouvrir de nouvelles Ă©choppes en centre-ville et offrir une alternative singuliĂšre et authentique aux franchises. Les consommateurs fatiguĂ©s de leurs Ă©crans pourront y trouver ce quâon ne trouve pas chez Amazon : de la sĂ©rendipitĂ©, des conseils personnalisĂ©s et une ambiance unique.
La semaine derniĂšre, nous avons mis en ligne L'Ă©tat du monde : regard sur trois continents đ, notre interview de Bruno Maçães, un homme politique portugais, politologue et auteur, qui vient de publier History Has Begun: The Birth of a New America, aprĂšs dâautres ouvrages consacrĂ©s Ă lâAsie.
Voici, ci-dessous, un extrait de lâinterview Ă propos de la Chine⊠đšđł
Moi : Dans deux de tes livres rĂ©cents, tu as parlĂ© de l'aube de l'Eurasie, mais aussi des nouvelles routes de la soie. Jâai lâimpression quâen Occident, nous sommes passĂ©s trĂšs vite des interrogations sur la Chine Ă l'admiration, puis Ă la crainte. Aujourdâhui, il y a ce rĂ©cit de la peur autour de la Chine. Que penses-tu de l'ambition mondiale de la Chine ? Et que rĂ©serve l'avenir Ă la Chine dans le monde ?
BrunoâEh bien, c'est le rĂ©cit le plus marquant de la pĂ©riode contemporaine. Je pense que c'est un grand rĂ©cit et que, d'une certaine maniĂšre, il englobe le rĂ©cit de la pandĂ©mie. Il est tout Ă fait possible que dans 20, 30, 50 ans, le COVID-19 soit un simple chapitre du grand rĂ©cit consacrĂ© Ă l'essor de la Chine. Et ce sera un chapitre important et intĂ©ressant parce que, aprĂšs tout, la pandĂ©mie a commencĂ© en Chine, mais est ensuite devenue assez rapidement une opportunitĂ© pour la Chine d'Ă©tendre son influence dans de nombreuses parties du monde et peut-ĂȘtre mĂȘme de combler le fossĂ© qui la sĂ©parait encore des Ătats-Unis.
Nous savons que cet écart sera probablement réduit de 10 % d'ici la fin de 2020. C'est donc trÚs important. Et d'une certaine maniÚre, nous devons penser que tout le récit de la pandémie est trÚs étroitement lié à notre perception de la Chine.
Je pense que la pandĂ©mie aurait pris un cours diffĂ©rent si nous avions, d'une certaine maniĂšre, pris la Chine au sĂ©rieux. Je repense souvent au mois de janvier, lorsque les autoritĂ©s chinoises ont dĂ©cidĂ© de fermer cette immense mĂ©tropole moderne et sophistiquĂ©e quâest Wuhan, dont les Occidentaux ne savaient presque rien. Cela aurait vraiment dĂ» ĂȘtre un signal d'alarme pour tout le monde qu'un pays aussi moderne, aussi dĂ©veloppĂ© que la Chine aujourd'hui dĂ©cide de faire une telle chose â cela aurait dĂ» ĂȘtre un message que le problĂšme devait ĂȘtre pris au sĂ©rieux !
Mais je me souviens trĂšs clairement que la rĂ©action aux Ătats-Unis et en Europe a Ă©tĂ©, eh bien, ces choses se produisent en Chine parce que c'est un pays sous-dĂ©veloppĂ©, d'abord, et ensuite, parce que c'est un pays autoritaire. Par contre, si, comme nous, vous avez de bons hĂŽpitaux et si vous avez la libertĂ© d'expression, une Ă©pidĂ©mie de ce genre est impossible.
La situation dâaujourdâhui rĂ©sulte donc dâune erreur Ă©troitement liĂ©e Ă une mauvaise perception de la Chine. Et il Ă©tait curieux de voir sur Twitter et ailleurs que beaucoup de ceux qui, en janvier dernier, disaient que c'Ă©tait une Ă©volution trĂšs grave, Ă©taient des gens qui connaissaient trĂšs bien la Chine, qui avaient vĂ©cu en Chine ou qui avaient des interactions avec la Chine. Par exemple, de nombreuses personnes de la Silicon Valley se sont exprimĂ©s en janvier dernier pour alerter sur le danger que reprĂ©sente l'Ă©pidĂ©mie de Covid-19. Et ce sont des personnes qui ont une expĂ©rience quotidienne de la concurrence avec des entreprises chinoises. Ils savent donc que cela ne s'est pas produit dans un pays lointain et sous-dĂ©veloppĂ©. Ils savent que que si cela sâest produit lĂ -bas, cela aurait pu tout aussi bien se produire en Europe et aux Ătats-Unis.
Il est tout Ă fait possible â il est impossible d'en ĂȘtre sĂ»r Ă ce stade â que l'impact le plus significatif de Covid soit lâaccĂ©lĂ©ration ou le ralentissement de la montĂ©e de la Chine â laquelle, comme je l'ai dit au dĂ©but, est le rĂ©cit majeur de notre temps. La Chine a changĂ© lentement mais sĂ»rement, changeant tout dans le monde tel que nous le connaissions.
Moi : Que se passe-t-il pour la âBelt and Roadâ au milieu de cette pandĂ©mie ?
BrunoâCela dĂ©pend de ce que tu entends par âBelt and Road". C'est quelque chose dont j'ai dĂ©jĂ parlĂ© dans mon livre, mais jâai continuĂ© de mây intĂ©resser depuis lors. En Occident, on a tendance Ă dĂ©finir ce projet comme un projet strictement liĂ© aux infrastructures. Et si ce nâest que cela, alors ce n'est mĂȘme pas un projet d'infrastructure ambitieux et flexible, mais un projet d'infrastructure trĂšs spĂ©cifique. Si on dĂ©finit âBelt and Roadâ par les infrastructures, alors oui, la pandĂ©mie nâaide pas. Elle crĂ©e mĂȘme un certain nombre de problĂšmes parce que les pays oĂč ces projets sont dĂ©veloppĂ©s sont moins capables de supporter les coĂ»ts et aussi parce que cela a posĂ© des obstacles Ă la circulation de la main-d'Ćuvre. Les travailleurs chinois n'ont pas pu retourner sur les sites de certains de ces projets aprĂšs la pandĂ©mie a eu un impact particuliĂšrement dĂ©vastateur. Dâautres raisons pourraient expliquer pourquoi âBelt and Roadâ pourrait ĂȘtre confrontĂ© Ă de nouvelles difficultĂ©s. En outre, le ralentissement du commerce mondial n'est Ă©videmment pas une bonne nouvelle si lâenjeu est dâinvestir dans des infrastructures portuaires qui sont censĂ©es servir le commerce mondial.
Mais si la dĂ©finition de âBelt and Roadâ est un peu plus large, si elle concerne l'influence, la prĂ©sence et la puissance Ă©conomique de la Chine dans le monde, alors je pense que la pandĂ©mie pourrait ĂȘtre davantage une opportunitĂ© qu'une menace car elle crĂ©era des diffĂ©rentiels de croissance entre la Chine et d'autres pays, que nous constatons. LâĂ©conomie indienne pourrait se contracter d'environ 11 % en 2020. La Chine, elle, connaĂźtra probablement une croissance de trois pour cent.
C'est une bonne nouvelle pour tous ceux qui, comme le gouvernement chinois, considĂšrent quâil y a une concurrence Ă©conomique intense entre la Chine et l'Inde, en particulier. Et puis, il faudra voir, de nombreux pays ont maintenant encore plus besoin de l'argent de la Chine qu'auparavant. Certains pourraient sâouvrir Ă la prĂ©sence Ă©conomique chinoise, en particulier les pays qui avaient montrĂ© une certaine rĂ©ticence Ă lâaccepter, comme l'IndonĂ©sie ou la Russie.
Il se pourrait donc que la pandĂ©mie soit davantage une opportunitĂ© qu'une menace pour le projet âBelt and Roadâ, Ă condition de le dĂ©finir plus largement comme un projet de prĂ©sence et de puissance Ă©conomique mondiale de la Chine.
đ DĂ©couvrez L'Ă©tat du monde : regard sur trois continents đ (conversation avec Bruno Maçães â version intĂ©grale)ârĂ©servĂ© Ă nos abonnĂ©s.
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