Bonjour Ă  tous ! DĂ©sormais, chaque lundi nous vous envoyons Ă  la fois un “Édito” au format Ă©crit 📝👇 ET audio đŸŽ§â˜ïž, une interview avec un invitĂ© passionnant (francophone ou non) et quelques informations pour Ă  la fois mettre la semaine Ă  venir en perspective et rappeler les contenus mis en ligne la semaine prĂ©cĂ©dente.

L’annĂ©e 2020 aura aussi Ă©tĂ© l’annĂ©e des grands dĂ©bats sur l’avenir des librairies. Les confinements et la fermeture forcĂ©e des librairies dont ils se sont accompagnĂ©s, mais aussi la montĂ©e fulgurante du commerce en ligne et du poids d’Amazon, font craindre le pire pour l’avenir des librairies Ă  Paris, et partout en France. 

Pour certains, qualifier les librairies de “commerces non essentiels”, c’est une attaque de plus contre la culture alors mĂȘme que nous avons tant besoin des nourritures de l’esprit que nous apportent les livres. Pour d’autres, les dĂ©bats sur les librairies masquent une mĂ©connaissance des tendances de fond de la sociĂ©tĂ© et du commerce. 

Amazon vend certes beaucoup de livres, mais ce sont surtout les grandes surfaces “qui font mal aux librairies” depuis des annĂ©es. Par ailleurs, quand vous n’habitez pas dans une grande ville, il est probable que vous n’avez pas vraiment accĂšs Ă  une librairie, avec ou sans pandĂ©mie. “La fermeture des librairies est-elle un problĂšme de bourges ?” s’interrogeait Slate il y quelques jours, en soulignant aussi que “le Ve arrondissement parisien en concentre plus de cent Ă  lui seul, les Hautes Alpes en comptent neuf au total. Il faut vivre dans un certain contexte pour avoir le rĂ©flexe librairie.”

Les librairies, comme une grande partie des commerces urbains de proximitĂ©, ont beaucoup souffert cette annĂ©e. Mais la crise actuelle ne fait qu’amplifier une tendance qui lui prĂ©existait. Le paysage des librairies et commerces de quartier se transforme depuis des annĂ©es sous l’effet de trois phĂ©nomĂšnes : la transition numĂ©rique, les transformations des attentes culturelles des consommateurs, et la montĂ©e des prix de l’immobilier dans les centres des villes les plus denses comme Paris.

À bien des Ă©gards, l’histoire de Gibert Jeune est emblĂ©matique de ces phĂ©nomĂšnes. Dans cette librairie historique du quartier latin, fondĂ©e Ă  la fin du XIXe siĂšcle, des gĂ©nĂ©rations d’étudiants (dont j’ai fait partie) ont achetĂ© leurs manuels et sont allĂ©s flĂąner pour le plaisir. On vient tout rĂ©cemment d’annoncer que la librairie devrait ĂȘtre placĂ©e en cessation d’activitĂ©s le 31 mars 2021. Comme d’autres magasins du quartier, Gibert n’aura pas survĂ©cu Ă  la pandĂ©mie.

La fin probable de cette icĂŽne du quartier latin a mĂȘme fait l’objet d’un article d’analyse du Financial Times. Pour la journaliste du FT, “Le Covid a laissĂ© de profondes cicatrices dans le paysage urbain. J’ai rĂ©cemment comptĂ© 12 façades de magasins vides le long du boulevard St Michel, sur le tronçon de moins d’un kilomĂštre qui va de la fontaine aux jardins du Luxembourg.” 

Mais les problĂšmes de ces commerces ne sont pas seulement liĂ©s au virus (bien que la disparition des touristes et des Ă©tudiants soit effectivement dĂ©sastreuse pour eux). En fait, Gibert Jeune Ă©tait en difficultĂ© depuis des annĂ©es dĂ©jĂ , incapable de se positionner dans un monde en transition : trop lent et mauvais sur le numĂ©rique, mais aussi trop “moyen” et “mainstream” pour offrir aux clients le cachet artisanal et authentique d’une librairie singuliĂšre. Dans ces conditions, l’augmentation des prix de l’immobilier avait dĂ©jĂ  condamnĂ© Gibert Jeune.

Depuis plusieurs annĂ©es, il se passe ainsi Ă  Paris ce qui s’est passĂ© Ă  New York ou Ă  Madrid : Ă  mesure que grimpent les loyers des magasins et des bureaux, les commerces singuliers sont progressivement remplacĂ©s par des Starbucks, Zara et H&M. Et la vitalitĂ© du commerce de dĂ©tail et la diversitĂ© du tissu social laissent la place Ă  la “ville franchisĂ©e”. 

Certaines municipalitĂ©s, dont Paris, ont bien conscience de ce phĂ©nomĂšne et choisissent donc de subventionner ces petits commerces de quartier, dont les librairies et les Ă©choppes d’artisans. Ces politiques satisfont aussi les habitants des centres de ces grandes villes, cadres, bobos et hipsters de la “gentrification”, avides de nĂ©o-artisanat, de singularitĂ©, et d’authenticitĂ©.

La pandĂ©mie pourrait accĂ©lĂ©rer encore plus la transformation du paysage du commerce urbain. D’abord, elle accĂ©lĂšre l’adoption des achats en ligne et stimule le travail Ă  distance, accĂ©lĂ©rant le dĂ©clin des quartiers d’affaires comme La DĂ©fense, mais aussi le dĂ©clin des commerces “moyens” – ni grandes surfaces, ni petit commerce singulier – qui ont peu d’arguments face Ă  Amazon et aux hypermarchĂ©s.

Mais dans un second temps, il n’est pas impossible qu’il y ait Ă©galement d’autres effets, plus positifs, sur la diversitĂ© du tissu commercial. Si les prix de l’immobilier commercial chutent autant que le craignent certains experts, alors les loyers pourraient baisser suffisamment pour que des artisans et entrepreneurs innovants osent ouvrir de nouvelles Ă©choppes en centre-ville et offrir une alternative singuliĂšre et authentique aux franchises. Les consommateurs fatiguĂ©s de leurs Ă©crans pourront y trouver ce qu’on ne trouve pas chez Amazon : de la sĂ©rendipitĂ©, des conseils personnalisĂ©s et une ambiance unique.

La semaine derniĂšre, nous avons mis en ligne L'Ă©tat du monde : regard sur trois continents 🌐, notre interview de Bruno Maçães, un homme politique portugais, politologue et auteur, qui vient de publier History Has Begun: The Birth of a New America, aprĂšs d’autres ouvrages consacrĂ©s Ă  l’Asie.

Voici, ci-dessous, un extrait de l’interview à propos de la Chine
 🇹🇳

Moi : Dans deux de tes livres rĂ©cents, tu as parlĂ© de l'aube de l'Eurasie, mais aussi des nouvelles routes de la soie. J’ai l’impression qu’en Occident, nous sommes passĂ©s trĂšs vite des interrogations sur la Chine Ă  l'admiration, puis Ă  la crainte. Aujourd’hui, il y a ce rĂ©cit de la peur autour de la Chine. Que penses-tu de l'ambition mondiale de la Chine ? Et que rĂ©serve l'avenir Ă  la Chine dans le monde ?

Bruno—Eh bien, c'est le rĂ©cit le plus marquant de la pĂ©riode contemporaine. Je pense que c'est un grand rĂ©cit et que, d'une certaine maniĂšre, il englobe le rĂ©cit de la pandĂ©mie. Il est tout Ă  fait possible que dans 20, 30, 50 ans, le COVID-19 soit un simple chapitre du grand rĂ©cit consacrĂ© Ă  l'essor de la Chine. Et ce sera un chapitre important et intĂ©ressant parce que, aprĂšs tout, la pandĂ©mie a commencĂ© en Chine, mais est ensuite devenue assez rapidement une opportunitĂ© pour la Chine d'Ă©tendre son influence dans de nombreuses parties du monde et peut-ĂȘtre mĂȘme de combler le fossĂ© qui la sĂ©parait encore des États-Unis.

Nous savons que cet écart sera probablement réduit de 10 % d'ici la fin de 2020. C'est donc trÚs important. Et d'une certaine maniÚre, nous devons penser que tout le récit de la pandémie est trÚs étroitement lié à notre perception de la Chine.

Je pense que la pandĂ©mie aurait pris un cours diffĂ©rent si nous avions, d'une certaine maniĂšre, pris la Chine au sĂ©rieux. Je repense souvent au mois de janvier, lorsque les autoritĂ©s chinoises ont dĂ©cidĂ© de fermer cette immense mĂ©tropole moderne et sophistiquĂ©e qu’est Wuhan, dont les Occidentaux ne savaient presque rien. Cela aurait vraiment dĂ» ĂȘtre un signal d'alarme pour tout le monde qu'un pays aussi moderne, aussi dĂ©veloppĂ© que la Chine aujourd'hui dĂ©cide de faire une telle chose – cela aurait dĂ» ĂȘtre un message que le problĂšme devait ĂȘtre pris au sĂ©rieux !

Mais je me souviens trĂšs clairement que la rĂ©action aux États-Unis et en Europe a Ă©tĂ©, eh bien, ces choses se produisent en Chine parce que c'est un pays sous-dĂ©veloppĂ©, d'abord, et ensuite, parce que c'est un pays autoritaire. Par contre, si, comme nous, vous avez de bons hĂŽpitaux et si vous avez la libertĂ© d'expression, une Ă©pidĂ©mie de ce genre est impossible.

La situation d’aujourd’hui rĂ©sulte donc d’une erreur Ă©troitement liĂ©e Ă  une mauvaise perception de la Chine. Et il Ă©tait curieux de voir sur Twitter et ailleurs que beaucoup de ceux qui, en janvier dernier, disaient que c'Ă©tait une Ă©volution trĂšs grave, Ă©taient des gens qui connaissaient trĂšs bien la Chine, qui avaient vĂ©cu en Chine ou qui avaient des interactions avec la Chine. Par exemple, de nombreuses personnes de la Silicon Valley se sont exprimĂ©s en janvier dernier pour alerter sur le danger que reprĂ©sente l'Ă©pidĂ©mie de Covid-19. Et ce sont des personnes qui ont une expĂ©rience quotidienne de la concurrence avec des entreprises chinoises. Ils savent donc que cela ne s'est pas produit dans un pays lointain et sous-dĂ©veloppĂ©. Ils savent que que si cela s’est produit lĂ -bas, cela aurait pu tout aussi bien se produire en Europe et aux États-Unis.

Il est tout Ă  fait possible – il est impossible d'en ĂȘtre sĂ»r Ă  ce stade – que l'impact le plus significatif de Covid soit l’accĂ©lĂ©ration ou le ralentissement de la montĂ©e de la Chine – laquelle, comme je l'ai dit au dĂ©but, est le rĂ©cit majeur de notre temps. La Chine a changĂ© lentement mais sĂ»rement, changeant tout dans le monde tel que nous le connaissions.

Moi : Que se passe-t-il pour la “Belt and Road” au milieu de cette pandĂ©mie ?

Bruno—Cela dĂ©pend de ce que tu entends par “Belt and Road". C'est quelque chose dont j'ai dĂ©jĂ  parlĂ© dans mon livre, mais j’ai continuĂ© de m’y intĂ©resser depuis lors. En Occident, on a tendance Ă  dĂ©finir ce projet comme un projet strictement liĂ© aux infrastructures. Et si ce n’est que cela, alors ce n'est mĂȘme pas un projet d'infrastructure ambitieux et flexible, mais un projet d'infrastructure trĂšs spĂ©cifique. Si on dĂ©finit “Belt and Road” par les infrastructures, alors oui, la pandĂ©mie n’aide pas. Elle crĂ©e mĂȘme un certain nombre de problĂšmes parce que les pays oĂč ces projets sont dĂ©veloppĂ©s sont moins capables de supporter les coĂ»ts et aussi parce que cela a posĂ© des obstacles Ă  la circulation de la main-d'Ɠuvre. Les travailleurs chinois n'ont pas pu retourner sur les sites de certains de ces projets aprĂšs la pandĂ©mie a eu un impact  particuliĂšrement dĂ©vastateur. D’autres raisons pourraient expliquer pourquoi “Belt and Road” pourrait ĂȘtre confrontĂ© Ă  de nouvelles difficultĂ©s. En outre, le ralentissement du commerce mondial n'est Ă©videmment pas une bonne nouvelle si l’enjeu est d’investir dans des infrastructures portuaires qui sont censĂ©es servir le commerce mondial.

Mais si la dĂ©finition de “Belt and Road” est un peu plus large, si elle concerne l'influence, la prĂ©sence et la puissance Ă©conomique de la Chine dans le monde, alors je pense que la pandĂ©mie pourrait ĂȘtre davantage une opportunitĂ© qu'une menace car elle crĂ©era des diffĂ©rentiels de croissance entre la Chine et d'autres pays, que nous constatons. L’économie indienne pourrait se contracter d'environ 11 % en 2020. La Chine, elle, connaĂźtra probablement une croissance de trois pour cent.

C'est une bonne nouvelle pour tous ceux qui, comme le gouvernement chinois, considĂšrent qu’il y a une concurrence Ă©conomique intense entre la Chine et l'Inde, en particulier. Et puis, il faudra voir, de nombreux pays ont maintenant encore plus besoin de l'argent de la Chine qu'auparavant. Certains pourraient s’ouvrir Ă  la prĂ©sence Ă©conomique chinoise, en particulier les pays qui avaient montrĂ© une certaine rĂ©ticence Ă  l’accepter, comme l'IndonĂ©sie ou la Russie.

Il se pourrait donc que la pandĂ©mie soit davantage une opportunitĂ© qu'une menace pour le projet “Belt and Road”, Ă  condition de le dĂ©finir plus largement comme un projet de prĂ©sence et de puissance Ă©conomique mondiale de la Chine.

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đŸ‡«đŸ‡· La disparition de ValĂ©ry Giscard d’Estaing

Mardi 8 dĂ©cembre | Podcast “À deux voix” 🎧 sur la disparition de ValĂ©ry Giscard d’Estaing. Le troisiĂšme prĂ©sident de la Ve RĂ©publique est dĂ©cĂ©dĂ© Ă  94 ans des suites du Covid. Quelle analyse peut-on faire de son bilan et de l’image qu’il avait dans l’opinion (pas de vague de nostalgie comme aprĂšs la mort de Chirac) ? Les comparaisons qui ont Ă©tĂ© faites avec le prĂ©sident actuel sont-elles pertinentes ?

âšĄïž L’innovation dans les services publics

Mercredi 9 dĂ©cembre | Interview de SĂ©bastien Soriano, prĂ©sident de l’ARCEP et auteur du livre Un avenir pour le service public, qui vient de paraĂźtre aux Ă©ditions Odile Jacob. SĂ©bastien a dĂ©jĂ  une longue expĂ©rience de l’administration. Lorsque le monde a basculĂ© dans la pandĂ©mie, il s’est demandĂ© si cette pĂ©riode n’allait pas contribuer Ă  accĂ©lĂ©rer l’innovation dans les services publics. Son livre, dont il parle Ă  Nicolas en dĂ©tail dans cette conversation, est nĂ© de cette interrogation.

đŸ€” Parler plusieurs langues : toujours utile ?

Jeudi 3 dĂ©cembre | Podcast “À deux voix” 🎧 sur l’apprentissage des langues Ă©trangĂšres. Nicolas et moi nous sommes installĂ©s en Angleterre puis en Allemagne en partie pour l’apprentissage des langues. Quels sont les avantages du plurilinguisme Ă  l’ñge des logiciels de traduction automatique ? Et puis comment apprend-on des langues Ă©trangĂšres ?

✋ L’ambivalence du protectionnisme

Pourquoi les crises sanitaire et Ă©conomique ont-elles ravivĂ© les discours protectionnistes ? Est-ce seulement un phĂ©nomĂšne conjoncturel ou bien le protectionnisme est-il notre nouvel horizon ? Laetitia et moi en discutons en revenant sur l’histoire du protectionnisme et ses inflexions rĂ©centes.

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🙃 La vie pĂ©riurbaine

En quoi la vie pĂ©riurbaine de ces zones rĂ©sidentielles, pavillonnaires est-elle diffĂ©rente en Europe et aux États-Unis ? Et de quelle maniĂšre est-elle en train de changer ? Laetitia et moi revenons sur notre migration rĂ©cente du centre vers la pĂ©riphĂ©rie et sur le contexte historique des transformations Ă  l’oeuvre.

👉 Écoutez 🎧  La vie pĂ©riurbaine (conversation “À deux voix”)—rĂ©servĂ© Ă  nos abonnĂ©s.



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