Les alternatives aux produits industrialisés sont là, sous nos pieds, dans nos champs et même dans nos poubelles. Coton, papier recyclé, laine, bois, paille, terre, chanvre, lin, pierre… les matériaux biosourcés issus du végétal, ou géosourcés tirés de ressources minérales peu transformées, sont des réponses pertinentes à nombre de nos besoins constructifs. Ils sont moins émissifs en CO2 quand ils sont produits localement, moins polluants, plus sains et souvent plus recyclables. Pourtant, ces matériaux naturels ne sont toujours pas le quotidien de l’acte de construire et restent souvent cantonnés à des projets pionniers.


Il est temps d’accélérer.


Il y a bien entendu des règlements qui freinent, des normes qui bloquent et des agréments qui coincent. Mais franchement les choses avancent, et la lenteur des textes sert souvent d’alibi à l’inaction. Il y a aussi des freins culturels. Les trois petits cochons, popularisés par Walt Disney dans les années 1930, n’y sont pas pour rien, mais il ne faudrait pas non plus tout leur mettre sur le dos. À Mayotte par exemple, c’est l’effort conjugué des importateurs de ciments et des rêves de construction « en dur » qui ont eu raison de la filière de brique de terre compressée. Elle a malheureusement laissé la place à un parpaing singulièrement inadapté au climat tropical.


Le retard pris dans le développement des matériaux naturels est aussi justifié par le manque de ressource et de compétences disponibles. Alors, pour celles et ceux qui se donnent pour mission de construire autrement, chaque chantier se transforme en longue et coûteuse expérimentation, qui nécessite un temps infini pour trouver les matériaux et les entreprises. Mais quand l’offre est là, avec des producteurs en mesure de fournir et des entreprises qui développent leur savoir-faire, c’est la demande qui ne suit pas. La filière naissante s’épuise à attendre les commandes et peine à trouver des économies d’échelle. C’est sans doute cela la vraie question, celle de la poule et de l’œuf. Comment synchroniser offre et demande pour permettre à des filières constructives alternatives d’émerger et d’offrir des solutions économiquement crédibles ?


Il est sans doute possible d’attendre que les forces du marché tendent leur main invisible pour faire émerger les matériaux naturels de leurs niches. C’est certes possible, mais peu probable et nécessairement long. Il faut donc que les pouvoirs publics s’impliquent dans le développement de ces filières pour aligner l’offre et de la demande. À eux de clarifier les normes, de développer les formations, de soutenir l’investissement et de développer la demande via la commande publique et les règles d’aménagement.


C’est bien autre chose que d’inventer une nouvelle niche fiscale depuis Bercy. C’est un travail patient, situé, qui nécessite de connaître les ressources du territoire et les dynamiques locales des acteurs. En fonction de ses traditions agricoles, de son climat, de sa géologie, de son histoire, chaque territoire peut développer ses propres filières de matériaux naturels. Il y a aussi besoin d’acteurs qui savent créer du lien et faire éclore les écosystèmes émergents, en accompagnant le passage d’une culture de la spécialisation et de la concurrence, à la diversité et la collaboration.


Les enjeux sont immenses, mais ici et là les choses avancent. Documentons les réussites comme les échecs, partageons-les et accélérons le rythme. Mais n’oublions pas non plus que le développement de l’usage de matériaux biosourcés et géosourcés n’est pas qu’une question de bilan carbone et de sobriété en ressources. C’est aussi l’occasion de retrouver le contact avec la matière, avec des matériaux naturels qui permettent de construire, mais aussi de se construire, et de donner du sens à son action.


— Sylvain Grisot


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