Je suis nantais, j’habite donc le fleuve. Un beau matin, j’ai eu envie de remonter jusqu’à la source de la Loire, pour découvrir ces villes auxquelles je suis lié par l’eau. Pourrait-on faire de ce bassin versant un territoire de projet ? Est-ce que la géographie de l'eau pourrait nous permettre de transcender les frontières administratives ? Quelles solidarités pourrait-on tisser au fil du fleuve ? J’aurais pu enfourcher mon vélo ou sauter dans un canoé, mais j’ai allumé mon ordinateur et démarré Google Earth. À chacun ses aventures. Saint-Nazaire, Nantes, Angers peut-être, Tours bien sûr, Blois, Orléans… Et puis cela se complique, les noms sont incertains. Il y a des affluents, comme autant d’impasses où je suis contraint de faire demi-tour. J’arrive en terra incognita, traversant des villes et des villages dont je découvre le nom. Et boum ! L’application plante et me ramène à Nantes. Je suis réduit au statut de petit point bleu sur la carte. Je n’ai pas découvert la source de la Loire, mais beaucoup de lieux en suivant son fil, c’est tout ce qui compte.


Et si ce fleuve-lien prenait la parole ? Pourrait-il nous inviter à une même table pour évoquer nos interdépendances et faire projet ensemble en ces temps agités ? Et si le fleuve était une personne ? Et si nous parlions directement à « Loire » plutôt que de parler de « la Loire » dans son dos ? Et si Loire avait une personnalité juridique ? Et si Loire avait de droits ? Et si Loire avait un siège dans nos institutions ? Et si Loire avait son propre parlement ?


C’est la fiction à laquelle le Polau et quelques complices se sont accrochés pendant de longs mois. Ils ont auditionné celles et ceux qui fréquentent Loire au quotidien, écouté le fleuve, nagé dans son eau, dormi sur ses îles, reniflé sa pollution et même mangé son sol… Ils en ont tiré un livre qui donne la parole à Loire, ce Fleuve qui voulait écrire. Un livre qui raconte cette enquête, l’envie de donner des droits au fleuve et la tentation de faire institution. C’est aussi le récit d’une méthode légère et féconde qui permet de retourner les regards sur nos territoires. Inspirant.


J’ai essayé de comprendre avec Maud Le Floc'h comment nous saisir de cette démarche. Inviter Loire à la table des négociations peut-il insuffler des pistes de projet fécond ? Si Loire prend la parole, nous pourrons voir la ville par ses yeux. Et voir quoi ? Des parkings, des voies sur berge, l’arrière-cour de la ville, la partie honteuse de la production urbaine… Loire voit tout ça, toutes ces choses que l’on a placées là pour ne plus y penser. Au moment où on a besoin de refroidir la ville parce que la chaleur monte, où on a besoin de la nature pour donner envie de ville, quoi de plus évident que de nouer le dialogue avec le fleuve ? Rebâtir la ville dans le bon sens grâce au regard du fleuve, et enfin le regarder dans les yeux. La Loire, et pas Loire, est dans nos procédures, nos plans d’aménagement, mais uniquement par l’entrée du risque. La Loire fait peur et contraint, alors que Loire a tellement de choses à nous dire.


Invitons Loire Ă  la table des projets, et tissons nos territoires au fil de son lit.


— Sylvain Grisot


C'Ă©tait l'Ă©dito de notre newsletter du 6 juillet 2021. Abonnez-vous sur dixit.net !


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